Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/571

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

litanies Namu Myôhô Rengué Kyô ! Et dès qu’on s’approche, des écorchés vivans, des corps à demi dévorés, s’arrêtent de pétrir leurs chapelets et vous tendent une main qui semble sortir du sépulcre. Ils sont épouvantables, plus épouvantables encore par ce que nous dérobent leurs linges bleus ou noirs. Les très vieux escaliers du temple s’élèvent entre deux rangées de boutiques qui vendent des baguettes d’encens et des statues guerrières de Kato Kiyomasa. Leurs marches sont usées ; usée, l’auge en pierre où flottent des écuelles de bois ; usé, le plancher du premier sanctuaire, pavillon ouvert à tous les pèlerins ; usé, le grillage de la seconde enceinte qui, derrière ce premier sanctuaire, en cache un autre mystérieux et rouge.

De grands jardins font à ce temple des moribonds un luxuriant décor ; mais l’horreur des figures qu’on y croise en assombrit la lumière. Et pourtant, ces figures camardes, ces têtes de morts éclaboussées de sang, m’ont inspiré moins de pitié que certains visages d’adolescens et de jeunes filles qui priaient devant l’autel. Ils avaient une fraîcheur et une plénitude de carnation très rares chez les Japonais. Une jeune femme surtout, dont je ne voyais que le profil, me parut bien belle. Sa brillante pâleur jetait le même éclat que si elle se fût lavée dans un bain d’aromates. Mais quand elle descendit les escaliers, j’aperçus une vilaine tache sur son autre joue ; et l’on me dit que c’était une lépreuse. La lèpre ne se déclare souvent qu’à vingt ou vingt-cinq ans ; et seule, paraît-il, une certaine splendeur de teint permet de la soupçonner. La jeune femme, dont la robe et la ceinture indiquaient une condition assez relevée, fit le tour du temple, suivie d’une vieille domestique, et s’éloigna sur le chemin dallé entre les images vivantes et lugubres de ce qu’elle serait bientôt.

Parmi ceux qui suppliaient la Divinité, les plus atroces voilaient leur figure comme pour ne pas effrayer sa miséricorde. On prétend qu’il s’est accompli des miracles ; et, si c’est une erreur, c’est une de celles que personne au Japon ne songe à démentir. Tant que la science ne saura guérir la lèpre, l’espoir d’une guérison surnaturelle sera l’unique bien des lépreux. La personne qui m’accompagnait en interrogea : les uns n’avaient plus personne au monde et vivaient des trois ou quatre sen que, dans les bonnes journées, ils obtenaient des passans ; les autres avaient quitté leur famille afin de ne pas lui infliger la honte de leur présence et de ne pas nuire à leurs frères et sœurs. Une