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Il se leva, nous salua d’un brusque mouvement de tête et, sans un mot d’excuse, sans une formule de politesse, il alla rejoindre des camarades qui l’attendaient dans la cour.


La dernière partie de notre voyage fut brève. Nous descendîmes en six heures les rapides du Kumagawa qu’on met quatre jours à remonter. Quand notre radeau passait du bouillonnement des vagues sur les grandes nappes muettes et sombres, le chant des rossignols éclatait dans les forêts rocheuses. En approchant de Yatsushiro, nous perçûmes, derrière les collines plus basses, la rumeur de la mer, et les Japonais qui dormaient sur les bancs se réveillèrent.

Quelques heures plus tard, le chemin de fer nous déposait à Kumamoto où je devais me séparer du Père Raguet. On ne voulut point me recevoir au premier hôtel de la ville, sous le prétexte, d’ailleurs fort admissible, que des officiers européens, le mois précédent, ayant refusé d’enlever leurs bottes, y avaient déchiré les nattes de leur chambre.


V. — LE TEMPLE DES LÉPREUX

De quelque hauteur qu’on domine la ville, on ne la distingue pas. Kumamoto n’est qu’un grand lac de verdure d’où émergent, remparts sur remparts, et ruines sur ruines, les formidables promontoires de son château féodal. Les rues et les ruelles respirent la mollesse des cités tropicales. Elles en ont le silence, et, dans certains quartiers, la pauvreté nue.

Le fondateur du château, Kato Kiyomasa, bâtit, à quelque distance de la ville, un temple où il est honoré comme une divinité miraculeuse Fut-il durant sa vie rongé d’un mal secret ? Eprouva-t-il à l’égard de ceux qui l’étaient une compassion si profonde que le souvenir en a sanctifié son nom ? Tant il y a que le temple de Hommiôji attire les lépreux de tous les coins du Japon. Ils vont en pèlerinage aux autres temples ; mais ils viennent ici avec l’intention d’y demeurer, soit qu’ils espèrent un miracle ou que les traces des misérables comme eux leur aient rendu cette terre plus douce à fouler.

Une longue avenue, étroite et dallée, bordée d’arbrisseaux, mène au temple. De loin, on entend le ronflement sourd des