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Le surlendemain on nous amena deux chevaux bâtés de ces hautes selles japonaises qui donnent au cavalier l’air d’être perché sur la bosse d’un dromadaire ; et nous nous mîmes en route, légers de notre long jeûne. Toute la vallée de rizières et sa résille de canaux miroitaient au soleil. La route, dont la terre sablonneuse avait absorbé la pluie, contournait la colline, et, pendant près de trois lieues, grimpait entre deux forêts de cryptomérias et de camphriers où ruisselaient des sources éternelles. A peine entendions-nous, à de rares intervalles, les coups sourds des bûcherons dans leurs petites exploitations de camphre, Quand nous fûmes parvenus au versant opposé, la riche province de Higo s’étendit sous nos yeux. Les rizières reparurent à l’orée des bois, et la ligne azurée des collines à l’horizon. Les eaux n’arrêtaient point de bruire et dévalaient avec nous sur la pente de ce parc sauvage. Nous marchions entourés de leur allégresse comme le chasseur de sa meute. Les villages n’étaient que des amas de huttes où les habitans vivaient presque à l’état de nature ; et l’auberge de notre dernière étape avant Hitoyoshi n’avait rien à nous offrir. Elle ne vend aux pauvres hères qu’un peu de feu pour cuire leur riz.


Hitoyoshi est une petite ville jetée des deux côtés d’un large torrent au milieu d’une forêt. L’hôtel était tenu pur un marchand de faïences. On traversait son magasin, puis une cour ; et les chambres des voyageurs surplombaient les eaux furieuses. Nous avions en face de nous une île qu’un double pont de bois reliait à chaque rive, et, sur de vieux remparts moussus, un groupe de maisons aussi blanches que les châteaux d’autrefois : la fabrique de saké.

Quand la pleine lune monta, ce fut un spectacle à faire pâmer les quarante mille dieux de l’Empire. Ses rayons dansaient sur les flots et traçaient en dansant de grandes lettres chinoises. L’île écumeuse et les saules de la rivière baignaient, légers et diaphanes, dans une vapeur argentée. Les ponts noirs s’allongeaient dessinés à l’encre de Chine. La fabrique de saké se détachait éblouissante sur le velours bleu des forêts, et des feuilles vertes luisaient au bord de l’eau comme les yeux des chats.

Hormis deux personnes, je crois bien que toute la ville s’était mise aux fenêtres ; l’une, un sacristain qui battait le