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l’imputation de patriotisme, dit-il dans un projet de dédicace, si, pour être l’ami de mon pays, il falloit être l’ennemi du genre humain. Les intérêts permanens de tous les peuples sont les mêmes. Je fais du bien à ma patrie, si je puis contribuer à donner à la France une constitution plus libre et plus heureuse.


Lorsque les Etats-Généraux se réunirent, « l’ouvrage de M. Bentham était loin d’être fini. » Il ne devait jamais l’être, au moins par l’auteur lui-même, qui l’abandonna « dès qu’il ne vit plus l’occasion d’en faire un usage immédiat. » Nous n’en savons, dans sa forme originale, que ce que Dumont veut bien nous en dire, et ce qu’il nous en dit, je ne le cache pas, me met un peu en méfiance contre sa seconde forme, celle sous laquelle il nous est parvenu. Tel qu’il était sorti des mains de Bentham, Etienne Dumont assure qu’« il n’étoit pas propre à une traduction. »


Non seulement il est incomplet, mais, de plus, il paroîtroit suranné à plusieurs égards. Il étoit fait pour la circonstance. Le but qu’il se proposoit l’engageoit à entrer dans beaucoup de discussions critiques sur les vices des anciennes formes adoptées en France ; cette controverse étoit nécessaire alors, elle seroit aujourd’hui sans intérêt.

La méthode qu’il avoit prise n’étoit pas certainement celle qu’on voudrait choisir pour l’agrément du lecteur, quelque instructive qu’elle soit. Cette méthode consiste à présenter un règlement tout fait, article par article, en forme de loi, en accompagnant chaque règle des raisons qui la justifient. Le texte de la loi, qu’on a toujours devant les yeux pour l’expliquer, soumet l’écrivain au genre didactique le plus sévère, et ne lui permet pas le plus léger écart.

L’auteur s’étoit soumis à une gêne de plus, car il n’en craint aucune quand elle peut contribuer à l’instruction et à la clarté. Dans tout ce commentaire, il procède par questions et par réponses ; méthode excellente pour établir précisément quelle est la difficulté à résoudre, et pour mettre le lecteur en état de juger si la solution est satisfaisante. Mais cette forme de catéchisme, outre ses longueurs, a l’inconvénient de couper tous les sujets en petites parties, et d’éteindre l’intérêt par le défaut de liaison.


Ici commencent les Confessions de Dumont (de Genève) ; on ne peut que regretter qu’il n’ait pas tout dit. C’est un cas littéraire bien particulier que le sien ; il passe sa vie à emprunter aux uns pour prêter aux autres, et il fournit à Mirabeau, mais il se fournit chez Bentham. Tour à tour arrangeur et arrangé, dans le commerce de l’esprit, il est une sorte d’intermédiaire patenté, qui fait la commission et l’exportation. Et l’on aimerait cependant savoir, sur chaque chapitre, ce qui est de Dumont et ce qui est