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je veux dire celle seulement de ses contemporains, pourvu encore qu’elle soit d’accord avec la sienne, et qu’elle ne dépasse point un certain âge au-delà duquel elle-même n’est plus que sottise incurable, ossification ou pétrification d’erreurs : « A la raison de soixante ans, il n’y a pas de remède ! »

Laissons cela. A peine le sujet, tel qu’il semblerait devoir se développer d’après le titre, est-il touché dans une trentaine de pages. Et si l’abbé Sieyès en a deviné l’importance, cette insuffisance, dirai-je, cette quasi-indigence de « moyens » chez un homme qui justement se flatte d’indiquer les « moyens d’exécution, » n’est-ce pas comme une preuve indirecte que tout de même l’histoire et l’expérience sont bonnes à quelque chose, ne serait-ce qu’à suggérer des expédiens ? Des quatre ou cinq paragraphes qui, dans la deuxième section du Mémoire de Sieyès, peuvent passer pour une ébauche de règlement, voici à peu près tout ce qui est à retenir. D’abord, — et pour garantir la liberté intérieure des Etats-Généraux, — Sieyès pose en principe « la nécessité d’une police dans une assemblée de mille à douze cents personnes, surtout si l’on fait attention que la prérogative de n’être pas responsable au dehors est essentielle aux membres d’un corps législatif, et que cette prérogative ne pourrait cependant pas subsister, s’il n’y avait dans ce corps une sorte de tribunal établi pour taire justice[1]. » Le futur théoricien du tiers présente ensuite ce qu’il appelle des « Statuts de police personnelle, » qui, dépouillés de la phraséologie ordinaire, se résument en ces dispositions : 1° L’irresponsabilité des députés est assurée pour ce qu’ils disent à la tribune. 2° L’Assemblée nommera, parmi ses membres, trois procureurs de police, et un Comité de justice composé de douze personnes. 3° Les trois procureurs de police seront chargés : a) de rappeler à l’ordre ceux qui s’en écarteront ; b) de suspendre provisoirement de la parole ceux qui s’écarteront de l’ordre ; c) de citer au Comité de justice tout membre qui aura refusé d’obéir à la suspension provisoire de la parole, et tout membre qui commettrait dans l’assemblée un délit ou une faute graves. 4° Le Comité de justice prononcera à la majorité de sept voix. 5° Il sera de sa compétence : a) de punir définitivement le refus de déférer à la suspension provisoire, la peine prévue étant la suspension de la parole ou

  1. Vues sur les moyens d’exécution dont les représentans de la France pourront disposer en 1789, p. 76-17.