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de l’école de Bentham se sont refusés à l’admettre, et la grande mesure rêvée par Pitt s’est trouvée empêchée. « Aujourd’hui, ajoute M. Cornford, nous subissons les conséquences du rejet de cette mesure. » Mais l’auteur anglais nous dit lui-même, dans un autre endroit, que la loi récemment votée par les Chambres, et interdisant l’immigration en Angleterre des étrangers indigens, « n’est, au total, que du papier perdu : » en dépit de cette loi, « les étrangers affluent journellement à Londres, pour chasser de leurs places les ouvriers anglais. » N’est-il pas à craindre que toutes les « disciplines » réclamées par M. Cornford ne soient, elles aussi, du « papier perdu ? » Et son livre entier ne nous prouve-t-il pas, une fois de plus, que « toute question sociale se réduit, en fin de compte, à une question morale ? »

Certes, ce livre nous apprend que les « missions » chrétiennes ne négligent absolument rien de ce qui est en leur pouvoir pour soulager la détresse des pauvres : mais leurs ressources sont restreintes, et l’excellent usage qu’elles en font nous permet d’imaginer quel rôle bien faisant elles pourraient jouer si, d’une façon générale, on s’efforçait plus activement de les encourager. Sans compter que ces « missions » pour le soulagement des pauvres sont condamnées à rester toujours plus ou moins impuissantes, si d’autres « missions, » en même temps, ne travaillent pas à obtenir des riches qu’ils cessent de placer au premier rang de leurs devoirs moraux l’obligation de « ramasser de l’argent pour mettre leurs fils en état de vivre sans rien faire. » Il y a là une œuvre de moralisation qui, assurément, est difficile : mais elle seule pourra rendre effectives les mesures de « discipline » dont nous parle M. Cope Cornford, et que, d’ailleurs, il ne s’arrête jamais à définir.

Et, vraiment le temps presse de résoudre le problème. Je m’étonnais, depuis quelques mois, de ne pouvoir pas ouvrir une revue ni un journal anglais sans y trouver de longs articles sur « le danger des sans-travail. » Le livre de M. Cope Cornford m’a expliqué tout ce qu’un tel danger avait de réel, de sérieux, et de menaçant. Il m’a expliqué aussi la récente élection, à la Chambre des communes, de plus de trente députés socialistes, qui, tous, avaient inscrit en tête de leur programme : « De l’ouvrage pour les ouvriers sans travail ! » Puissions-nous apprendre bientôt qu’un économiste de génie a enfin découvert un moyen de réaliser ce programme, et de guérir la société anglaise du « chancre » qui est en train de lui ronger le « cœur ! »


T. DE WYZEWA.