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mais sur l’animal, sur le chien « frère à quelque degré qu’ait voulu la nature, » sur le sol et sur la pierre. De même encore toute la fable, si compliquée et si bizarre d’ailleurs, de la Chute d’un ange est dominée par la nécessité d’imposer à Cédar les souffrances dont est capable sa nature toute primitive : l’esclavage dans la tribu de Phayr, la jalousie et la honte dans la cité des Titans.

Au centre même de ce dernier poème Lamartine a placé son Credo philosophique ; et c’est là qu’il faut aller chercher le dernier mot de sa pensée. C’est dans la « Huitième vision, » l’admirable Livre primitif, qui est ici le morceau le plus achevé, comme l’était dans Jocelyn l’épisode des Laboureurs, et qui est, à coup sûr, l’un des rares chefs-d’œuvre de la poésie philosophique en France. Lamartine s’y montre décidément rationaliste et optimiste. Il n’admet pas la révélation entendue au sens théologique d’une révélation faite une fois pour toutes, de façon extérieure et par le moyen d’un livre : il n’y a, d’après lui, d’autre révélation que la révélation intérieure et continue que chacun de nous lit dans sa raison. Dieu est personnel et cependant inséparable de son œuvre.


Dieu dit à la raison : Je suis celui qui suis :
Par moi seul enfanté, de moi-même je vis…
Mes ouvrages et moi, nous ne sommes pas deux,
Comme l’ombre du corps je me sépare d’eux ;
Mais si le corps s’en va, l’image s’évapore :
Qui pourrait séparer le rayon de l’aurore ?


C’était ici la partie la plus délicate de l’exposé, celle où, une fois de plus, Lamartine devait côtoyer ce panthéisme dont le danger le guettait sans cesse. La création se recommence et se continue sans interruption : elle ne comporte aucune dérogation aux lois universelles et ne laisse pas de place au miracle. Le mal, que nous y croyons apercevoir, n’est qu’une illusion d’optique : s’il nous était possible d’étendre assez loin notre vue pour considérer l’ensemble, aussitôt tout s’expliquerait et se justifierait à nos yeux. Dieu n’est d’ailleurs jamais absent de son œuvre : sa présence s’y manifeste par cette aspiration vers le mieux que, sous des formes différentes, on constate aussi bien dans la nature inanimée et dans le monde de l’intelligence. L’âme est immortelle ; il n’y a pas de peines éternelles. Il faut enseigner Dieu aux enfans, il faut le prier, et le prier en commun. Mais pas d’églises, pas de temples, pas de sanctuaires : Dieu est partout. Vous ne tuerez pas, même pour vous nourrir. Vous n’établirez pas de séparations en races, peuples, nations. Il faut cultiver la terre : du