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Dieu un et parfait pour dogme, la morale éternelle pour symbole, l’adoration et la charité pour culte ; en politique, l’humanité au-dessus des nationalités ; en législation, l’homme égal à l’homme, l’homme frère de l’homme, la société comme un fraternel échange de services et de devoirs réciproques régularisés et garantis par la loi : le christianisme législaté. » On voit donc, de façon très nette, en quoi avait consisté ce travail de renouvellement, que Lamartine constate en lui depuis son voyage en Orient : c’est à faire tomber toutes les barrières, barrières entre les croyances, entre les constitutions, entre les peuples. Plus de séparations, plus de limites, l’unité réalisée par l’atténuation des angles, par l’effacement des contours, par l’évanouissement des affirmations trop précises.

N’est-il pas curieux de noter que ce travail qui s’est opéré dans la pensée de Lamartine s’est fait justement dans le même sens et suivant la même loi, que celui dont on peut suivre le progrès dans son inspiration poétique et dans la forme de son art. Dans la poésie des Méditations, il y avait tout un contenu sentimental, des faits, des souvenirs, des regrets, des impressions ; ce contenu est allé peu à peu se dissipant jusqu’aux Harmonies, dont la poésie, vide de substance, est pareille à une musique. De même encore, dans les Méditations, le dessin de chaque pièce était arrêté, autant du moins que l’art lamartinien comporte un dessin arrêté ; les proportions en étaient mesurées. Par la suite, et de plus en plus, le flot de la poésie va se déborder, et couler sans rives, pour en venir à s’épancher dans les huit mille vers de Jocelyn, ou dans les onze mille alexandrins de la Chute d’un ange. Et peut-être voit-on maintenant à quel point de sa pensée et de son art était arrivé Lamartine, quand il aborda la partie proprement philosophique de son œuvre, c’est-à-dire les deux épisodes de son grand poème.

L’idée même de ce poème, — qu’il portait en lui depuis longtemps et dont il avait peu à peu modifié le plan, — était essentiellement une idée philosophique. C’est ce caractère qui l’avait séduit, lorsqu’il avait pour la première fois entrevu son sujet, en 1819. « On y est, disait-il tantôt sur la terre avec les passions des hommes, tantôt dans le ciel avec les puissances surnaturelles, tantôt dans la moyenne région avec les génies intermédiaires qui font aller les ressorts cachés des âmes humaines. Cela aurait satisfait les métaphysiciens qui veulent quelque chose de complet et d’infini : on aurait vu l’ensemble et l’infini du monde et les rapports des deux mondes. » En 1821, il rêve de donner à son poème une signification cosmogonique. Dans la