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ancien ! .. Une idée que le monde entier avoue, adopte, conçoit, défend, ne peut être une erreur : l’erreur est dans sa pratique incomplète, mais non dans sa nature. » La Révolution est pour lui divine, comme pour Joseph de Maistre elle était diabolique ; et on reconnaît déjà dans ces lignes le morceau fameux de Jocelyn : il n’y manque que les rimes. Désormais Lamartine se détache du passé, tient la tradition pour suspecte, se persuade que le monde est en travail d’un évangile nouveau.

Ces idées vont germer pendant le voyage en Orient, dont je ne crois pas que M. Citoleux ait suffisamment marqué l’importance. Elle a été très grande. C’est déjà un voyage, celui d’Italie, qui avait donné l’essor à l’imagination du poète. Le voyage en Orient va marquer une étape décisive dans sa pensée, établir une coupure dans sa carrière. Il l’a d’abord comme déraciné. C’est ce qu’atteste l’émotion si profonde qu’il retrouvait, longtemps après, à l’époque où il composait le Désert. L’enfant du vallon de Milly va rêver désormais du libre espace et de l’é, tendue sans limite du désert :


Des deux séjours humains, la tente ou la maison,
L’un est un pan du ciel, l’autre un pan de prison ;
Aux pierres du foyer l’homme des murs s’enchaîne,
Il prend dans ses sillons racine comme un chêne :
L’homme dont le désert est la vaste cité
N’a d’ombre que la sienne en son immensité.


D’une part, envoyant dans le Liban toutes les religions juxtaposées, Lamartine en vient à douter que le christianisme soit une religion privilégiée : il le compare avec l’islamisme, et il lui arrive de préférer celui-ci, parce qu’il est plus « tolérant, » plus large, et parce qu’il n’impose à l’homme que « deux grands devoirs, la prière et la charité. » D’autre part, non seulement ce voyage, en dépaysant Lamartine, élargit son point de vue, mais, en l’isolant, il lui donne une confiance plus grande en lui. Il ne doute plus de la valeur objective de ses intuitions, et s’en remet pour toutes choses au jugement de sa raison, c’est-à-dire aux suggestions de son instinct. « A première vue, en un clin d’œil, j’ai jugé un homme ou une femme pour jamais… On se demande qu’est-ce que l’instinct et on reconnaît que c’est la raison suprême, mais la raison innée, la raison non raisonnée, la raison telle que Dieu l’a faite et non pas telle que l’homme la trouve. Elle illumine tout du premier jet. Le génie est instinct et non logique et labeur. » La raison lui dicte les articles essentiels de son credo : « En religion,