Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 32.djvu/453

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et formule cette condamnation : « Lorsque cherchant à vous tenir en dehors de toute spécialité vous croyez monter, vous ne faites que descendre. » Lamartine a commencé par être chrétien ; il aboutit à être philosophe. Comment donc s’est opérée la transformation ? Quand on y regarde d’un peu près, on est frappé de voir combien elle fut régulière, normale, logique, et probablement inévitable.

Faut-il rappeler que le christianisme auquel Lamartine avait été formé par sa mère était un christianisme tout sentimental, accommodant et flottant sur plus d’un point, et où se mêlait à l’influence de Fénelon celle de Rousseau et de Bernardin de Saint-Pierre ? Mais de bonne heure la foi de Mîlly ou de Belley s’était altérée en lui. En 1818, il écrit à la marquise de Raigecourt : « Il y a longtemps que nous soupirons après cette conviction si heureuse et si paisible, dont vous parlez. » Et tandis que les véritables croyans sentent leur foi s’affermir, à proportion que la souffrance leur en fait davantage une nécessité, au contraire sous le coup du malheur il se prend à douter : « Heureux l’homme qui croit, heureux celui qui espère, seulement comme je croyais, comme j’espérais avant un malheur sans remède. Je donnerais mon reste de jours pour un grain de foi… Je la demande aux livres, je la demande à la raison, je la demande au ciel. » Ainsi, au moment même où il composait les Méditations, avait commencé de se former en lui cette pensée philosophique, à laquelle il ne donnait pas encore son expression en poésie. Aussi bien il avait recueilli une partie de l’héritage philosophique du XVIIIe siècle. Il avait lu Voltaire et Rousseau, comme il lisait, facilement gagné aux idées dont l’expression lui arrivait à travers une lecture rapide. Alors même qu’il se crut devenu l’adversaire de l’esprit de Voltaire, comme il n’en continuait pas moins d’admirer ses vers, il était bien impossible que l’influence du penseur ne s’insinuât pas en lui. L’éducation qu’il avait reçue offrait plus d’une analogie avec l’éducation d’Emile, et elle le préparait à recevoir, comme une des plus profondes qu’il ait subies, l’empreinte de l’auteur de la Nouvelle Héloïse. Il se rattachait encore au XVIIIe siècle par son admiration pour Mme de Staël, qu’il n’aimait guère, mais dont les écrits lui firent une impression si vive. Pour ce qui est de Paul et Virginie, ce fut son livre de chevet. Aussi certaines tendances de l’esprit philosophique se remarquent-elles chez lui de très bonne heure : par exemple, la croyance à la bonté foncière de la nature humaine ; le goût du cosmopolitisme ; il écrit dès 1811 à Virieu : « La patrie n’est plus qu’un mot, du moins en Europe ; » l’horreur de la guerre, d’ailleurs confirmée et renforcée par le spectacle de