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Lamartine revient à ces questions qui lui furent pareillement le sujet de plus d’une causerie avec ses amis. Cette « insatiable curiosité, » il s’efforça de la satisfaire par la discussion, par la réflexion, par la lecture. Certes il faut ici se garder de toute exagération. Lamartine ne fait pas profession d’être philosophe, lui qui se défend même de faire métier de poète. Il est très loin d’être un érudit et il ne fait aucun mystère de son mépris pour l’érudition. Il se contente de connaissances superficielles, qui ne sont parfois que le résultat d’une conversation. Il goûte la pensée contemporaine, plutôt qu’il ne l’absorbe et ne se l’assimile. Il effleure, il devine. Et enfin il est poète, capricieux et mobile : on perdrait son temps et sa peine à vouloir rendre compte de toutes ses variations et contradictions, on essaierait vainement d’emprisonner dans des formules trop exactes une pensée souvent fuyante. Il reste qu’il s’est fait chez le poète un travail de réflexion, que sa pensée s’est modifiée, et ce travail d’une pensée en mouvement est, pour le critique ou pour le moraliste, le sujet d’étude le plus intéressant.

Le point de départ pour Lamartine est la pure orthodoxie chrétienne et même catholique. Dans les Méditations, nées pour la plupart à Milly sur le sol et dans l’atmosphère familiale, le poète avait mis la fleur de son éducation pieuse. L’école catholique, celle de Chateaubriand et du Conservateur, de Bonald, de Lamennais, de Genoude, du duc de Rohan, y avait salué la poésie qu’elle attendait. A l’époque de Jocelyn, qui paraît en 1836, on peut dire que l’évolution philosophique de Lamartine est achevée. Et c’est bien pourquoi, de tous les points du monde chrétien s’élèvent contre lui de si âpres réclamations. Car le poète se berçait de l’espoir d’avoir désarmé par avance la polémique, en ne mettant dans son œuvre « que le sentiment moral et religieux pris à cette région où tout ce qui s’élève à Dieu se rencontre et se réunit, et non à celle où les spécialités, les systèmes et les controverses divisent les cœurs et les intelligences. » Comme il c’était trompé ! Ce qu’on lui reproche c’est justement cette largeur de pensée dont il est si fier. Le mot de « spécialités » déchaîne la tempête. C’est un protestant, Vinet, qui dénonce cette religiosité vague et vaine réduite à n’être plus que la religion naturelle : « Tout ce qui rend une religion sainte, tout ce qui l’élève au-dessus de la poésie, tout ce qui en fait autre chose qu’une manière de courtiser la divinité, tout ce qui lui donne un corps, une substance, une réalité, tout cela manque dans la religion désossée de Jocelyn. » Mais c’est l’abbé Gerbet qui trouve dans le poème des « choses sinistres » pour la foi,