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barbe très foncée, la bouche sensuelle, la voix puissante et bien timbrée, les gestes saccadés et nerveux qui trahissent un tempérament violent, irascible, une intelligence brillante et souple, gâtée par un naturel déclamatoire et outrancier, plus de ruse que de courage et plus d’astuce que de véritable habileté : telle est cette curieuse figure d’aventurier sud-américain. Son règne commence par des orgies : les vainqueurs traitent Caracas en ville conquise ; d’indescriptibles saturnales où le Président mène le branle, jettent le scandale et la terreur dans la ville ; les négocians, les propriétaires sont arrêtés, rançonnés, pillés ; les directeurs des banques qui tentent de résister aux emprunts forcés, sont jetés en prison. Un ancien ministre des Finances, Matos, que l’on sait très riche, est incarcéré, rançonné, relaxé, repris, relâché : il s’enfuit de Caracas et vient en Europe chercher des commanditaires pour renverser le tyran. L’anarchie est dans tout le Venezuela. Sur la frontière, les lieutenans de Castro sont en guerre avec les Colombiens sans qu’on sache très bien ni pourquoi l’on se bat, ni qui a commencé.

En février 1901, le dictateur, qui n’a que le droit de la force, réunit une assemblée constituante et joue la parodie de la légalité. L’Assemblée vote la onzième constitution des États-Unis du Venezuela : le pays est divisé en vingt États et un territoire fédéral : c’est précisément contre cette réforme, projetée par Andrade, que Castro s’était soulevé quelques mois auparavant ; son premier soin est de la réaliser. Personne ne songe d’ailleurs à s’en étonner ; ce sont là jeux d’ambitieux. En avril, l’Assemblée élit Castro président, sans concurrent. Ces apparences de légalité n’arrêtent pas les insurrections ; des bandes en armes courent le pays ; Matos équipe en Europe un petit bateau dont le pavillon et la nationalité varient selon la latitude et les besoins de la cause, et vient organiser la révolte ; il a pour lui les hommes qui travaillent, les producteurs, les financiers ; le dictateur ne compte que sur ses bandes fidèles, mais il porte de plus rudes coups. La rente monte quand les insurgés l’emportent, elle baisse quand, c’est le pouvoir légal ! En juillet 1902, elle atteint 25 pour 100 de sa valeur nominale sur le bruit d’une victoire de Matos. La prise de Campano par les révoltés effraye Castro : il obtient du Congrès la suspension des garanties constitutionnelles, — déjà si illusoires !