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l’indispensable, ne prit même pas la peine de lui demander un grade. Il le trouva néanmoins à son entrée dans les rangs de l’armée active. Platof, l’ataman des Cosaques, qui commandait l’avant-garde des troupes engagées contre la France, le mit à la tête d’un de ses régimens.

Le 24 mai, le nouveau colonel prouva ce qu’on pouvait attendre de lui. Il attaqua les bagages du maréchal Davout, mit en déroute l’escorte qui les protégeait. 300 soldats français furent tués ou blessés et le reste du détachement, au nombre d’environ 500 soldats dont 46 officiers, dut se rendre. La chancellerie du maréchal, ses équipages, son uniforme, son chapeau et jusqu’à l’étui de son bâton tombèrent au pouvoir des Russes. Les descendans du comte Strogonof sont restés en possession de ces trophées et le bâton de Davout se trouve toujours à Notre-Dame de Kazan. La paix de Tilsitt mit un terme aux exploits de Strogonof contre la France. Mais ils lui valurent le commandement des grenadiers de la Garde impériale. A la tête de ce régiment, il fit la campagne de Suède et la campagne de Turquie avec le même éclat. Nous le retrouvons, quelques années plus tard, lieutenant général, jouant un rôle actif dans la campagne de 1812. Il était à Borodino, à Jaroslavetz, à Krasnoié où il contribua à anéantir le corps du maréchal Ney. Il prit part à la campagne de France en 1814. Il combattit à Champaubert, à Montmirail, à Vauchamp et à Craonne. Dans cette bataille dirigée par Napoléon en personne, il commandait la réserve. C’est là que, dans le feu de l’action, lui parvint une affreuse nouvelle. A une courte distance de lui, son fils unique, un tout jeune officier, avait eu la tête emportée par un boulet. « Son désespoir est extrême, écrivait quelques jours plus tard le prince Adam Czartoryski… Rarement quelque chose m’a causé autant de chagrin. L’Empereur veut envoyer Strogonof à Pétersbourg ; c’est ce qu’il y aurait de mieux à faire. Le malheur de cette famille est affreux ; cela vous fend la cœur, ce malheur auquel on ne peut apporter aucun remède et qui frappe des amis comme ceux-là. » La vie du comte Strogonof était brisée ; il souhaitait la mort. Il la chercha vainement à la bataille de Laon. Les balles ennemies ne voulurent pas de lui. Il retourna en Russie où il avait à consoler une mère dont l’âme n’était pas moins déchirée que la sienne. Mais ce grand devoir ne lui rendit pas la force de vivre et, en 1817, à peine âgé de quarante-quatre ans, il