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trouve brusquement associé à la plupart des manifestations de la démocratie victorieuse, qui est en train de s’emparer de la France, de détruire l’ancien régime et, sous prétexte de fonder un régime nouveau, ne parvient qu’à créer le chaos d’où, quelques années plus tard, le génie du Premier Consul fera surgir l’ordre et la sécurité. Un jeune homme moins bien doué que Paul Strogonof se serait promptement perverti au contact des étranges personnages que son maître fréquentait. Parmi eux se trouvait la fameuse Théroigne de Méricourt, et il semble bien que durant quelques semaines, sensible aux charmes de cette fougueuse amazone, Paul Strogonof, malgré son jeune âge, eut le droit de se croire payé de retour. C’est sans doute pendant cette période qu’il fut affilié au Club des Jacobins. Heureusement pour lui, un ordre venu de Russie coupa court à ses velléités amoureuses et démocratiques. L’Impératrice avait été avertie de ses incartades. En même temps que défense était faite au précepteur de rentrer en Russie, le père de l’élève était invité à le rappeler. Quelques mois plus tard, Paul Strogonof était à Saint-Pétersbourg ; il s’y mariait ; il devenait l’ami du grand-duc Alexandre qui, en 1801, lors de son avènement au trône, l’associait aux affaires de l’Etat.

Il est remarquable qu’à ce moment, en Russie, elles passaient aux mains de jeunes hommes auxquels on ne peut guère supposer assez d’expérience pour les bien conduire et qui cependant ne tardent pas à donner des preuves de cette prévoyance et de cette maturité qui sont le privilège de l’âge. Lorsque la mort de son père met la couronne impériale sur son front, Alexandre a vingt-quatre ans. Ses principaux conseillers sont aussi jeunes que lui. Leur aîné, Adam Czartoryski n’a pas trente ans ; Paul Strogonof, qui va tenir parmi eux une si grande place, en a vingt-cinq. Et ce n’est pas en Russie seulement que se produit ce phénomène ; on en retrouve l’équivalent en Autriche et en Angleterre. A Paris, tout ce qui compte sort à peine de l’adolescence. Bonaparte, en recevant les chefs chouans qu’il veut rattacher à son gouvernement, peut leur dire : « Venez avec nous ; nous sommes la jeunesse, nous sommes l’avenir. »

Paul Strogonof, à propos duquel le grand-duc Nicolas restitue à l’histoire tant de choses oubliées ou ignorées, figure avec honneur parmi cette légion d’hommes d’Etat qui se trouvèrent, à leur début dans la carrière, aux prises avec les innombrables