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César Birotteau, de quelques pages du Lys dans la Vallée, d’Un Ménage de Garçon, d’Une ténébreuse affaire, d’Ursule Mirouet, de la Muse du département, du Curé de Village, des Souffrances de l’Inventeur, du Cousin Pons, de la Cousine Bette pour que ni la critique, ni sans doute le temps ne puissent mordre sur son œuvre. La voilà devant nous, telle que l’ont faite, et comme achevée, plus de cinquante ans écoulés depuis la mort de Balzac ! La voilà, détachée de ses origines et des circonstances de sa production ; dégagée aussi des chicanes de la critique ; établie dans son rang par le jugement de deux générations ! La voilà, telle que l’on peut d’ailleurs l’aimer ou ne pas l’aimer, — ceci est affaire de goût, — mais telle que l’on n’en peut méconnaître la valeur ni celle de l’homme qui nous l’a léguée ! Il nous reste à tâcher de dire quelle fut la valeur vraie de cet homme, et la place qu’il occupe dans l’histoire de l’esprit français.


VI

L’écrivain n’est pas de « premier ordre, » ni seulement de ceux dont on peut dire qu’ils ont reçu du ciel, en naissant, le don du « style ; » et, à cet égard, nulle comparaison n’est possible entre lui et tel de ses contemporains : George Sand, par exemple, ou Victor Hugo. « En pensant bien, il parle souvent mal, » a-t-on dit de Molière ! C’est ce qu’on pourrait dire également de Balzac ; et lui aussi, trop souvent, il n’a réussi à exprimer sa pensée qu’au moyen « d’une multitude de métaphores qui approchent du galimatias. » C’est que, comme Molière, nous venons de le voir, il écrit vite, mais, de plus que Molière, il se corrige ; il refait jusqu’à douze ou quinze fois ses romans sur épreuves ; il ajoute, il retranche, il transpose, il superpose à la première expression de sa pensée ce qui lui semble en être une expression « plus écrite ; » il fait du « style » après coup, comme il fait de l’esprit, parce que, dans un roman, on demande de l’esprit et du style ; et, de même qu’en faisant de l’esprit nous avons dit qu’il négligeait souvent d’avoir du goût, c’est ainsi qu’en faisant du « style, » il oublie parfois le sens propre des mots, souvent les règles de la grammaire, et les lois mêmes de la syntaxe française.

Est-ce à dire qu’il « ne sache pas écrire ? » On a vu comment Taine l’avait justifié de ce reproche et, sans convenir que