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— on ne voit mieux en quoi consiste « la préparation » d’un roman de Balzac : une série de biographies ou de monographies, qui sont la description des « variétés » d’une même « espèce sociale ; » des dialogues où ces « variétés » essaient de se manifester conformément à leur nature ; et l’ébauche d’une intrigue où, sous la suggestion de leurs intérêts concordans ou contradictoires, les caractères achèvent de se « différencier. » On ne sera pas surpris, après cela, que les Employés soit un roman à peu près illisible, et il convient seulement d’ajouter que quelques écrivains n’ont pas le droit de s’en plaindre : ce sont tous ceux qui ont essayé de mettre l’administration en roman, et qui n’ont guère trouvé d’autres traits pour la peindre que ceux que Balzac avait esquissés.

De pareils procédés de composition expliquent les inégalités dont il est impossible de ne pas être frappé dans la Comédie humaine, Balzac a travaillé trop vite ; et on aura beau dire que « le temps ne fait rien à l’affaire ! » c’est un vers de comédie, qui n’est pas vrai, même d’un sonnet, et à plus forte raison d’un roman. Si Balzac a écrit, — et nous le savons par un témoignage non douteux, — son César Birotteau en quinze jours, c’est qu’il le portait alors dans sa tête, nous l’avons dit, depuis quatre ou cinq ans. Et nous avons dit aussi qu’il y portait ensemble sa Comédie humaine tout entière, mais toutes les parties n’en étaient pas ensemble au même degré d’avancement, et les nécessités de la vie qu’il s’était faite l’ont obligé d’en détacher, et d’en « réaliser » plus d’un fragment avant que le temps en fût venu. C’est le cas de ses Paysans.

On ne saurait non plus se dissimuler qu’ayant conçu l’ambition de faire de son œuvre une représentation totale de la vie, Balzac eût été vraiment plus qu’un homme si son génie s’était trouvé constamment égal à cette ambition. Or, il y avait en lui, nous l’avons vu, un fonds de vulgarité qui devait constamment l’empêcher d’exprimer et de peindre certains sentimens dont il savait d’ailleurs tout le prix, et dont la délicatesse l’attirait. Je ne veux pas insister sur la Physiologie du mariage et les Petites misères de la vie conjugale, qui ne sont, après tout, que l’œuvre d’un assez mauvais plaisant, ou d’un fanfaron de cynisme en gaîté ; mais, le Lys dans la Vallée ou les Mémoires de deux jeunes Mariées ! quelles étranges idées serions-nous réduits à nous faire de l’amour platonique, et de l’amour maternel, s’il nous