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purement humaines et en quelque sorte journalières des événemens, c’est ce que l’histoire doit encore à Balzac.

Je ne dis pas que les historiens le lui aient directement emprunté. Je pourrais le dire ! et, à l’appui de mon opinion, j’invoquerais l’exemple de Taine dans ses Origines de la France contemporaine. Il y en aurait d’autres, — si je nommais des vivans ; — et M. G. Lenôtre ou M. Frédéric Masson reconnaîtraient volontiers, j’en suis sûr, ce qu’ils doivent à Balzac.

Mais c’est indirectement qu’il a surtout agi, indirectement et diffusément, par une lente imprégnation des esprits, et sans que l’on s’en aperçût, en créant pour ainsi dire, dans l’esprit des lecteurs, de nouveaux besoins et de nouvelles exigences. « La personne de l’écrivain, son organisation tout entière s’engage et s’accuse elle-même jusque dans ses œuvres ; il ne les écrit pas seulement avec sa pure pensée, mais avec son sang et ses muscles. La physiologie et l’hygiène d’un écrivain sont devenus un des chapitres indispensables dans l’analyse qu’on fait de son talent. » On reconnaîtra cette phrase de Sainte-Beuve ; mais on a peut-être oublié que c’est précisément à propos de Balzac qu’il l’a écrite ; et nous devons ajouter d’ailleurs que, pas plus dans son article que nous dans la présente étude, il ne s’est soucié de la « physiologie » ni de l’ « hygiène » d’Honoré de Balzac. On pose ainsi des principes ; on ne les applique point ; et on les impose aux autres ! Mais combien l’observation n’est-elle pas plus vraie des acteurs de l’histoire ! C’est d’un Mirabeau, d’un Danton, d’un Robespierre, d’un Napoléon qu’il faut dire « qu’ils n’ont pas agi avec leur pure pensée, mais avec leur sang et avec leurs muscles ; » et voilà vraiment ceux dont l’œuvre ne s’éclaire que par la connaissance de leur « physiologie » et de leur « hygiène. »

Voilà donc aussi ce que nous demandons désormais à l’histoire de nous dire ; et nous le lui demandons, parce que, depuis que nous avons tous, tant que nous sommes, lu et relu les romans de Balzac, nous savons quelle est, dans la formation du caractère d’un homme, et dans l’histoire de sa vie, l’importance de son « hygiène » et de sa « physiologie. » Ou, en d’autres termes encore, plus généraux, nous avons tous contracté dans la fréquentation de la Comédie humaine, un tel besoin de précision et de minutie dans la représentation de la réalité, que rien ne nous apparaît de réel et de vrai que sous les conditions