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commodes ventrues, dans les sujets des trumeaux, dans les motifs des pendules, et au besoin dans la composition de leur garde-robe ; — c’est, nous l’avons vu, ce que Balzac avait fait, ou s’était piqué de faire, avant les frères de Goncourt ; — reportez-vous, dans ses Paysans, à la biographie qu’il y donne de Mlle Laguerre ; — et, sans examiner ce qu’ils y ont pu ajouter, c’est la méthode qu’ils n’ont eu d’abord qu’à transposer, pour écrire des histoires qui ressemblent à des romans ; et qu’on lirait d’ailleurs avec infiniment plus d’intérêt, s’ils n’avaient comme effacé les grandes lignes de l’histoire, sous l’abondance des détails et l’excès de l’enchevêtrement.

La cause en est qu’ils n’avaient pas saisi le principe de la méthode, et, à cet égard, leur erreur a été la même que celle de l’ « école naturaliste » dans le roman. Eux aussi, ils ont pris ou traité comme une fin ce qui ne doit être pris et traité que comme un moyen. Car, on aura beau dire, et on aura beau protester, la « grande histoire » sera toujours la « grande histoire, » — politique et militaire, diplomatique et législative, — telle que l’ont comprise les grands historiens, depuis Hérodote jusqu’à Michelet ; et on ne fera jamais que l’histoire économique, par exemple, celle du prix des denrées ou des vicissitudes de l’agriculture, ni même celle des mœurs, égale en intérêt le récit de la campagne de France ou celui des négociations du Congrès de Vienne. Il y en a bien des raisons ! Mais ce qui est d’autre part très vrai, c’est que, pour comprendre ces grands événemens de l’histoire où se joue la destinée des peuples, on ne saurait évaluer avec trop de précision les « petites causes » dont ils sont généralement les grands effets ; et, ces petites causes, ce sont justement celles que le roman de Balzac s’est efforcé de mettre en lumière : le tempérament des acteurs ; les intérêts quotidiens menacés ou lésés ; les mouvemens profonds de l’opinion ; les ambitions mesquines dissimulées sous de beaux noms ; les drames intérieurs « dont la garde qui veille aux barrières du Louvre ne défend pas les rois ; » les rivalités, les jalousies, les haines, et généralement tout ce qui fait que, pour être Louis XIV on n’en est pas moins homme, ni moins femme pour être l’impératrice Catherine ; — et il s’est même vu qu’on le fût davantage. L’introduction de cet élément de vie dans une conception de l’histoire qui avait mis jusqu’alors sa dignité dans sa froideur, et l’obligation, nouvelle pour elle, d’approfondir les causes