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aujourd’hui qu’autrefois, il faut nous en féliciter, s’il est donc encore possible que le roman de l’avenir nous donne des Eugénie Grandet et des César Birotteau, des Rabouilleuse et des Cousine Bette. Aussi bien, dans cette étude, ne traitons-nous pas de « questions actuelles, » et avons-nous eu soin de ne pas faire intervenir les romanciers vivans. Mais, ce que nous ne saurions nous dispenser de faire observer, c’est que, d’une manière générale, tout en subissant l’influence de Balzac, l’école naturaliste a dénaturé, rétréci singulièrement, et mutilé sa conception du roman.

C’est ainsi que, comme Champfleury dans ses Bourgeois de Molinchart, elle a fait de la peinture ou de la représentation de la vie une satire ou une caricature des mœurs ; el, en même temps que c’était s’écarter de la conception de Balzac, c’était mentir, en quelque sorte, au nom même de « naturalisme. » Un vrai naturaliste imite, et ne se moque point. C’est encore ainsi que, sans ignorer tout à fait la province, l’école naturaliste ne s’est pas fait, comme l’auteur des Souffrances de l’Inventeur et de la Muse du Département, une obligation, pour ainsi dire, « professionnelle » de la connaître, et elle a généralement semblé ne s’intéresser qu’aux scènes de la vie parisienne. Quelques récits d’un caractère d’ailleurs un peu spécial, tels que ceux de Ferdinand Fabre, — je ne nomme toujours que des morts, — n’infirment pas la vérité de cette observation. Et c’est encore ainsi qu’en mêlant à ses observations de perpétuelles intentions de polémique, comme dans les Rougon-Macquart, — voyez notamment l’Œuvre, et encore Pot-Bouille, où, si j’ai bonne mémoire, c’est en faisant lire aux cuisinières du Lamartine et du George Sand, qu’on les séduit, — l’école naturaliste a manqué au premier des principes qu’elle proclamait, et qui était l’impartialité de l’observation. En écrivant le Lys dans la Vallée, Balzac avait pu se proposer de « refaire » Volupté : il n’y a presque pas un des romans de Zola qui ne soit écrit contre ceux de Feuillet et de George Sand. Il s’en faut encore, et de beaucoup, que ses meilleurs romans, l’Assommoir ou Germinal, toujours épisodiques ou anecdotiques, aient la valeur ou la signification sociale de ceux du maître. Mais le principe n’en est pas moins désormais acquis, et il y a tout lieu de croire que, quelque modification qu’il subisse ultérieurement dans sa forme, l’objet propre du roman n’en sera pas moins désormais « la représentation de la vie commune. »