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tant de choses qui ne sont plus objets de propriété privée, le Français du XXe siècle est intéressé aux États-Unis dans un trust d’acier et dans une mine de cuivre en Espagne ; il possède quelques mètres de chemins de fer brésiliens ou chinois ; il a des Hypothèques sur des terres égyptiennes, des actions de câbles télégraphiques sous-marins et se trouve aussi créancier de l’Empereur de Russie et du Grand Turc. Loin de prétendre lever tribut sur les nations voisines, il leur offre ses capitaux.

Tout casanier qu’il demeure personnellement, il est pécuniairement cosmopolite ; tout contribuable, justiciable et administré soumis qu’il puisse être, il ne dépend de l’État qu’autant et aussi longtemps qu’il lui plaît d’en dépendre. Bien plus, tout bon patriote qu’il se croie, là où est son trésor, là sera nécessairement un peu de son cœur. Le pays où il est né, où il réside, dont il est membre, pourrait éprouver des revers éclatans ou traverser de cruelles vicissitudes, que ce citoyen n’y perdrait rien ou peu de chose. La patrie ne le tient donc plus et il ne tient plus à elle par sa bourse.

C’est une évolution économique qui produit, ou produira, — puisqu’elle n’est encore qu’à son début, — le résultat que nous augurons ici. Et, une fois encore, remarquons que les phénomènes économiques, c’est-à-dire les intérêts, mènent les hommes beaucoup plus que la politique. Nul législateur n’aurait pu créer, nul ne pourra entraver, une pareille circulation des fortunes sur la terre et, par la circulation des fortunes, un pareil emmêlement des âmes. Qui verrait dans cette dispersion un danger national réfléchira qu’aujourd’hui les peuples, les vieux peuples surtout, possèdent tous ainsi plus ou moins les uns chez les autres et qu’en France, nombre d’usines et d’obligations de chemins de fer appartiennent à des étrangers. Jusqu’à quel point l’internationalisme des placemens transformera-t-il le monde ? C’est le secret de l’avenir ?

Peut-être les nations futures s’allieront-elles par les capitaux plus solidement que les rois de jadis par les alliances et peut-être que le globe sera plus cohérent s’il est ceinturé d’un cercle d’or.


Vte G. D’AVENEL.