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— En effet, lui dis-je ; et vous, madame, vous plaisez-vous au Japon ?

— Oh ! fit-elle, je me plaisais davantage à Tôkyô, lorsque nous y habitions…

— Elle y rencontrait souvent des dames européennes, vous comprenez, interrompit M. Nikita ; mais on ne peut pas toujours être à la fête.

— Certainement, ajouta-t-elle ; et puis Hiroshima est une grande ville…

— Oui, interrompit de nouveau son mari : il y a des momens où, quand on traverse les canaux, on se croirait à Osakâ. L’Empereur s’y est installé pendant la guerre contre la Chine, afin d’être plus près des opérations. Et, quand les troupes sont parties, un vieux bonze de Kyôtô est venu les haranguer ni plus ni moins qu’un archevêque. Elle a vu l’Empereur ! Elle a vu le retour des soldats ! Je la promène quelquefois aux environs. Mais nos femmes, les femmes distinguées, ont. trop d’occupations au logis pour flâner dehors. Et je vous certifie, monsieur, que ma femme est devenue une bonne Japonaise !

Et se tournant vers elle :

— Tu ne diras pas que je ne te rends pas justice devant tes compatriotes !

Elle eut un petit rire embarrassé et s’empressa de nous servir le thé comme si elle comptait sur cette diversion pour échapper à ce qui la menaçait. Mais, après un échange de menus propos, quand son mari, renversé dans son fauteuil et les jambes croisées, reprit : « Vous vous étonnez peut-être qu’une fille de chez vous soit devenue une bonne Japonaise ? » elle comprit son impuissance à détourner la conversation, et, résignée, posa les mains sur ses genoux, et attendit.

— Ah ! s’écria-t-il, ça n’a pas été tout seul ! Il y a fallu du temps et de la patience. Je l’avais prévenue… D’ailleurs pourquoi ne raconterais-je pas à Monsieur comment s’est fait notre mariage ? Tu n’y vois pas d’inconvénient ? Non ? Très bien… Vous croyez sans doute, parce que j’ai une place à la Préfecture, que j’ai suivi des cours de Droit ? Pas le moins du monde. Un artiste qui n’a pas eu de chance, voilà Nikita. Mais nous en recauserons… Le gouvernement m’avait envoyé en France étudier les industries d’art. J’étais descendu chez les parens de cette fille. Le père n’était pas fâché d’avoir un élève ; la mère, un