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doux et fins, le maître nous reçoit sur le seuil. Sa robe violet sombre, barrée d’une ceinture noire, remplit son antichambre d’un frou-frou de soie.

On se sent enveloppé d’une lumière charmante qui émane de ces boiseries aux veines d’aurore et de ces nattes couleur de chaume. La gaîté des sous-bois et la paix des ermitages sont dans cette maison. Pas un grain de poussière sur les tatami ni sur les cloisons de papier ; pas une éraflure. Les gens qui passent le long des couloirs extérieurs saluent et disparaissent, et leurs sandales de feutre font moins de bruit que n’en feraient nos pieds nus. Mais, de temps en temps, du fond des cours et de la maison voisine, éclate un affreux concert de voix discordantes, de cris inarticulés et brefs, comme si quelqu’un pénétrait brusquement dans une volière épouvantée de geais, de perroquets, de chouettes et de hiboux. Puis le silence se reforme, brillant et limpide. On n’entend plus par les fenêtres ouvertes que le bourdonnement des mouches ivres de soleil, et l’éternel jabotage de nos kurumaya, qui, tandis que nous buvons une tasse de thé, se sont assis à l’ombre sur les brancards de leurs voitures, et se demandent comment, ils arrangeraient leur vie s’ils gagnaient cent mille yen.

Le maître du logis nous disait :

— Nous avions vraiment besoin de cette maison. J’ai envoyé mon fils en Europe : il y est resté plus d’un an. Il a visité les principaux établissemens de France, d’Allemagne et d’Angleterre. Il a consulté des spécialistes éminens. J’ai attendu pour tout organiser le résultat de son enquête. Nous ne sommes que vos élèves à vous, Messieurs les Européens ; et, si je n’apprécie pas également tout ce que vous nous avez apporté, je vous sais un gré infini de nous avoir révélé la science et des moyens de soulager nos maux. J’ai un vieil ami qui déplore chaque jour le progrès que font chez nous l’esprit de lucre et la fièvre du tripotage. Vous savez que la Bourse du Riz d’Osakâ est une de nos plus anciennes institutions. On y a spéculé de temps immémorial. Autrefois, nous n’estimions guère ceux qui jouaient sur la hausse et la baisse, tandis qu’aujourd’hui ces personnages considérables mettent les ministres à leurs pieds. Mon vieil ami a raison ; mais je me console à l’idée que nous sommes peut-être devenus plus humains ou du moins que nos sentimens d’humanité trouvent plus aisément à se satisfaire.