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Un fait certain c’est que pendant tout le cours du XIXe siècle la Russie n’a cessé de reculer ses frontières dans la direction de l’Inde. Le commencement de la grande extension de la Russie en Asie date de la fin même des guerres napoléoniennes. Déjà au traité de Gulistan, en 1813, les Russes avançant dans la direction du Caucase s’étaient fait céder, par la Perse, le Daghestan, le Chirvan, et la côte jusqu’à l’embouchure de l’Araxe. Quelques années plus tard, sous Nicolas Ier, une nouvelle guerre que termina le traité de Tourtmanchaï donnait aux Russes Erivan, Nakhitchevan, les établissait dans l’Arménie persane jusqu’à l’Ararat et l’Araxe, et ne faisait plus de la Perse qu’une voisine inoffensive et docile. L’année 1830 vit la Russie toucher, pour la première fois, l’Iaxarte. Bien que les régions conquises fussent à une grande distance des frontières de l’Afghanistan et de l’Inde, il n’en fallut pas plus cependant pour réveiller toutes les craintes du gouvernement anglo-indien et amener celui-ci à prendre des mesures qui lui parurent dictées par la circonstance. Burnes fut envoyé, en 1830, en ambassade à Caboul, puis de nouveau en 1837, et quand cette année-là même, le shah de Perse vint mettre le siège devant Hérat, un officier anglais, nommé Pottinger, fut envoyé dans la place pour assurer sa défense. En même temps, une flotte anglaise s’emparait des îles Karraks, dans le golfe Persique. Ces mesures mêmes ayant paru insuffisantes à Londres et à Calcutta où l’on estimait que la Russie était l’instigatrice de l’expédition entreprise par le shah de Perse contre Hérat, le gouvernement anglais résolut de s’assurer l’appui de l’Afghanistan et de faire concourir ce pays en vue de certaines éventualités à la politique générale de l’empire anglo-indien.

Le programme qui fut alors formulé pour atteindre ce but, par lord Auckland, alors gouverneur général de l’Inde, est demeuré, depuis, célèbre dans l’histoire des relations extérieures de l’Afghanistan et de l’Inde. Il ne pouvait s’agir, disait lord Auckland, d’annexer directement ce pays comme on l’avait fait pour le Bengale et certaines parties du Dekkan. Il n’y a pas en effet de similitude entre les deux régions. La vallée du Gange est un pays riche, habité par une population sédentaire, adonnée aux travaux de l’agriculture et aux pratiques du commerce et de l’industrie, accoutumée de longue date à obéir à un pouvoir fortement centralisé. Tout autre est le pays Afghan ; c’est une contrée pauvre, toute couverte de rochers et de montagnes,