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savante des membres de la droite et des membres de la gauche, donnant ainsi une revanche morale à M. Fortis, qui pourra, quand il le voudra, retourner ses argumens contre lui et le mettre au défi, soit de faire avec ses collègues un programme commun, soit de gouverner fortement. Mais cela ne veut pas dire que ces mêmes argumens, qui ont si bien réussi hier à. M. Sonnino contre M. Fortis, réussiront dès aujourd’hui à M. Fortis contre M. Sonnino. La durée est pour beaucoup dans l’usure des ministères ; celui de M. Sonnino ne fait encore que commencer ; on lui ouvrira sans doute le crédit habituel, et peut-être même sera-t-il plus long pour lui que pour d’autres. M. Sonnino a eu l’habileté de faire entrer dans son cabinet quelques hommes de beaucoup de mérite, un surtout qui a une grande notoriété européenne, M. Luzzalti. De plus, M. Sonnino, qui a été longtemps hors du pouvoir, après y avoir eu autrefois un rôle très distingué, mais de second plan, a suscité chez les uns beaucoup d’espérances, et chez les autres beaucoup de défiances, sans laisser personne indifférent. Tout le monde s’accorde à lui attribuer de hautes capacités : il ne lui reste qu’à les montrer et sans doute on lui en laissera le temps. Les souvenirs qu’on a de lui ne sont pas tout à fait d’accord avec la situation actuelle. Il a été un des plus fervens disciples de M. Crispi, et la politique de M. Crispi paraît bien loin aujourd’hui ! Mais qui est-ce qui n’a pas été un peu crispinien en Italie ? Qui est-ce qui n’a pas évolué avec les événemens ? Qui est-ce qui n’accepte pas les nécessités nouvelles ? Le passé de M. Sonnino lui a valu la confiance des autres membres de la Triple-Alliance qui ont bien accueilli son avènement au pouvoir. Son intelligence du présent et de l’avenir doit lui valoir une confiance plus large encore, et c’est le sentiment que nous éprouvons pour lui. Aucun homme d’État italien ne peut avoir l’idée de modifier d’une manière sensible les données générales de la politique de son pays, politique qu’on peut définir en ces termes : fidélité à la Triple-Alliance, amitié avec l’Angleterre et avec la France.

Tout au plus pouvons-nous regretter le départ de M. le marquis di San Giuliano. L’Italie a vu en deux mois trois ministres des Affaires étrangères : M. Tittoni qui est parti sans qu’on ait bien su pourquoi, M. di San Giuliano qui n’a fait que passer aux affaires, mais non pas inutilement puisqu’il a choisi M. de Visconti-Venosta comme plénipotentiaire à Algésiras, et M. Guicciardini avec lequel l’Europe ne demande qu’à faire connaissance. On explique, il est vrai, le changement de M. di San Giuliano par des motifs tout personnels entre M. Sonnino et lui. M. Sonnino ne lui aurait pas pardonné d’avoir