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égales leurs marchandises et leurs capitaux, qu’elles y développent leur richesse commerciale sans se heurter à aucun privilège, c’est le programme que nous avons admis et auquel nous resterons fidèles. Mais quand on en vient à l’organisation de la police, c’est-à-dire à la manière d’assurer l’ordre intérieur, la question devient politique au premier chef, et l’internationalisation qui transporterait toute l’Europe au Maroc, sur le flanc occidental de l’Algérie, nous apparaîtrait comme un danger qu’on ne nous fera jamais accepter de plein gré. Dans cette politique, qui a été de tout temps la nôtre, il n’y a rien que de très avouable ; toutes les nations du monde l’adopteraient à notre place. Elle se résume en un mot : le marché du Maroc ouvert à tous ; l’organisation et la surveillance de sa police confiée à ses voisins immédiats. Nous l’avons dit très haut avant d’aller à la Conférence : est-ce qu’on ne nous a pas entendus ? est-ce qu’on ne nous a pas compris ? Il est bien vrai qu’on ne nous a pas répondu. La presse allemande a beaucoup parlé, mais le gouvernement impérial est resté hermétiquement muet. Il l’est resté jusqu’à ces derniers jours. Tout ce qu’on aperçoit à travers les notes officieuses de ses journaux et l’attitude de ses représentans à Algésiras, c’est qu’il n’accepte pas notre thèse. Eh bien ! qu’il produise la sienne. Nous avons hâte de connaître son point de vue, comme il connaît depuis longtemps le nôtre. Il lit dans notre jeu : qu’il abatte le sien.

Les journaux allemands se livrent, sur le ton qui leur est propre à des polémiques dans lesquelles nous nous garderons bien d’entrer : elles ne peuvent qu’aggraver les difficultés au lieu de les atténuer. Si la Conférence échoue, ce ne sera pas notre faute. Nous y sommes allés de bonne foi, avec le très sincère désir de mettre nos intérêts d’accord avec ceux des autres puissances ; mais la première condition pour cela est qu’elles reconnaissent le caractère spécial de nos intérêts et ne nous demandent pas de les sacrifier. La presse allemande commence à envisager comme possible l’échec de la Conférence, et elle déclare en prendre son parti. Nous n’en prendrons pas aussi facilement le nôtre, mais enfin nous le prendrons s’il le faut. Il sera très regrettable que l’Europe et l’Amérique aient été convoquées avec tant de solennité pour donner au monde un spectacle de division et d’impuissance. La presse allemande assure que, si on ne s’entend pas, ce dissentiment n’amènera pas la guerre, et, certes, si le gouvernement impérial ne la déclare pas, ce n’est pas nous qui la ferons pour le Maroc. Nous craindrons seulement, pourquoi ne pas l’avouer ? qu’il ne reste au fond des cœurs des sentimens d’aigreur