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de celle-ci. Les historiens s’accordent à louer son tact, sa réserve, ses manières affables, l’habileté avec laquelle elle a su, jusqu’à la fin, retenir la faveur de son mari. D’où vient donc que son portrait (par un peintre anonyme, dans la collection de lord Ashburnham) nous laisse une impression plus fâcheuse encore que celle d’Anne Boleyn ? D’où vient que, sous la simplicité de la mise, et l’honnête apparence bourgeoise de la physionomie, nous sentions quelque chose de faux et de méchant, qui nous fait oublier jusqu’à la laideur de ce visage aux lèvres lourdes et aux gros yeux saillans ? Et d’où vient que la même impression ressort de tous les documens cités par M. Hume, qui n’a cependant que des éloges, lui aussi, pour le caractère de Catherine Parr ? Les lettres qu’elle écrivait au Roi, par exemple, ont beau être plus « pleines de tact » que celles que lui écrivait jadis Catherine d’Aragon : la flatterie y est si constante, et d’une humilité si forcée, que nous ne pouvons nous résoudre à la croire sincère. Et quand nous découvrons ensuite que cette princesse, toujours prévenante et douce pour les enfans d’Henri, était d’une dureté féroce pour ses serviteurs, nous ne sommes plus surpris qu’une telle femme ait réussi, tout en se donnant l’air de rester en dehors des affaires publiques, à jouer le grand rôle politique que nous voyons qu’elle a joué. Car non seulement, par sa famille et par son entourage, elle appartenait au parti catholique ; non seulement elle n’était devenue reine que grâce à ce parti, et en lui promettant de le soutenir ; mais jamais, depuis le divorce de Catherine d’Aragon, ce parti n’avait été aussi fort qu’il l’était à l’époque de son avènement. Or, elle ne fut pas plutôt installée à la Cour que l’influence du parti catholique commença à décroître ; et bientôt, quand le conflit s’engagea ouvertement entre les deux partis, ce fut la protection active de la Reine qui assura le triomphe définitif des protestans, en même temps qu’elle valait la mort ou la disgrâce aux anciens amis de Catherine Parr. Du moins, la dernière femme d’Henri a-t-elle eu le mérite d’échapper, pour son propre compte, à toute catastrophe : elle a survécu au Roi, comme elle avait survécu déjà aux deux autres vieillards qu’elle avait épousés précédemment ; et, aussitôt veuve, elle s’est remariée, en quatrièmes noces, avec le frère du régent Somerset. Mais on raconte qu’avant de mourir, elle a été tourmentée par d’affreux cauchemars ; ce que je tiendrais volontiers pour un effet du remords, si les âmes de ce genre n’avaient pas, en général, l’enviable privilège d’être fausses vis-à-vis d’elles-mêmes aussi bien que des autres, et, jusque dans les pires actions, de garder la conscience de leur honnêteté.