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lui avait fait un accueil enthousiaste ; mais quand Henri, avant de venir lui-même lui présenter ses hommages, avait mandé auprès d’elle un de ses serviteurs, celui-ci, en levant les yeux sur la future reine, avait fait une grimace de mauvais augure. Il connaissait les goûts de son maître, et prévoyait que ce visage-là ne le ravirait guère.

Holbein, avant de partir pour Clèves, avait-il reçu de Cromwell le conseil de flatter, au besoin, sa « contrefaçon » de la figure de la jeune princesse ? ou bien ses yeux d’artiste s’étaient-ils trompés, et lui avaient-ils fait découvrir, dans le visage d’Anne de Clèves, des agrémens que la nature n’y avait pas mis ? Il y a à Oxford un autre portrait de cette princesse, qui doit avoir été peint au même moment que celui d’Holbein, car Anne y est exactement vêtue de la même façon ; et déjà ce second portrait nous fait mieux comprendre la déception d’Henri VIII, lors de sa rencontre avec sa fiancée : de petits yeux, une grande bouche, toutes les apparences d’un sang pauvre et malsain. Mais les témoignages écrits nous forcent à penser que ce second portrait était encore trop flatté. Ils nous apprennent qu’Anne de Clèves, à l’époque de ses fiançailles, avait un grand corps osseux et disproportionné, et que son épais visage était, en outre, profondément couturé des traces d’une petite vérole qu’elle venait d’avoir. De telle sorte qu’Henri, quand il se trouva en face d’elle, fut « si merveilleusement étonné et déconfit » qu’il n’eut pas le courage de lui offrir les cadeaux qu’il avait apportés pour elle. Lui-même, cependant, à cette époque de sa vie, était loin de pouvoir passer pour un beau cavalier : tout son corps était gonflé démesurément, sa large face pendait en d’énormes bajoues, et il avait les jambes couvertes d’ulcères purulens qui rendaient son voisinage fort désagréable. Mais il n’en jugea pas moins qu’une femme comme celle que lui avait procurée Cromwell était indigne de lui ; et Cromwell eut la tête tranchée ; et Anne, presque au lendemain de ses noces, fut invitée à signer l’annulation de son mariage. Elle le fit, d’ailleurs, avec tant de bonne grâce qu’Henri en fut vraiment touché, à tel point qu’il songea plusieurs fois, par la suite, à se remarier avec une princesse aussi complaisante : d’autant plus qu’Anne de Clèves, dans l’intervalle, s’étant bien nourrie, bien reposée, s’étant faite au luxe et à l’élégance de la cour anglaise, avait changé et embelli considérablement. Tout compte fait, elle fut la plus heureuse des six femmes d’Henri VIII.


La cinquième de ces femmes fut Catherine Howard ; la sixième et dernière fut Catherine Parr ; et je voudrais d’abord dire quelques mots