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princesses que comme les victimes d’un tyran vigoureux et sensuel, qui les aurait librement choisies, tour à tour, pour être la consolation ou le divertissement de ses heures de loisir. Et, sans doute, cette façon traditionnelle d’envisager la biographie des femmes d’Henri VIII fournit à l’historien un champ beaucoup plus ample pour la description de cérémonies pittoresques et de somptueux costumes, en même temps qu’elle autorise des peintures plus pathétiques des souffrances personnelles des malheureuses reines, au jour de leur disgrâce ; mais j’ose espérer que l’absence d’une bonne part de cet attrait descriptif ou sentimental, dans le livre qu’on va lire, sera compensée par une intelligence plus large et plus claire de la signification politique, historique, des mariages d’Henri VIII ; que, par ce moyen, le lecteur arrivera à une notion plus exacte des voies détournées qui ont conduit l’Angleterre à la Réforme ; et qu’enfin il pourra mieux apprécier les proportions véritables de la figure d’Henri, en se rendant mieux compte de l’action exercée sur lui par son entourage.


Cette courte préface du major Martin Hume suffira pour faire comprendre toute la nouveauté et tout l’intérêt du livre qu’il vient de publier sur les Femmes d’Henri VIII. J’ajouterai seulement que M. Hume, — à qui l’on devait déjà, entre autres ouvrages, de très remarquables études biographiques sur Philippe II d’Espagne et sur Elisabeth, — a tiré parti, pour son dernier livre, d’une foule de documens découverts par lui dans les Archives anglaises ou espagnoles[1] ; et qu’il traite son sujet avec un effort constant d’impartialité, une pénétration psychologique, et un agrément littéraire, qu’on ne saurait trop louer. Son livre se trouve être, vraiment, une histoire à peu près complète des origines de la Réforme anglaise : soit qu’il nous montre les femmes d’Henri VIII contribuant elles-mêmes à détacher leur mari de l’Église romaine, ou bien qu’il nous les représente comme les instrumens, plus ou moins inconsciens, de tel ou tel parti, dont l’objet principal est toujours de diriger à son gré la politique religieuse de l’Angleterre. Nous voyons tour à tour chacune de ces pauvres femmes jouer un rôle dans ce grand drame, dont leur tragédie propre n’a été qu’un acte, ou un épisode : depuis l’altière Catherine d’Aragon, qui, par son entêtement à ne point permettre l’annulation de son mariage, a contraint Henri à rompre avec une Église dont il avait été, peu de temps auparavant, proclamé le « Défenseur ; » jusqu’à cette modeste,

  1. M. Hume a notamment découvert, et publié sous le titre de : Une Chronique espagnole du temps d’Henri VIII, le très intéressant journal d’un négociant et diplomate espagnol, Antoine de Guaras, qui demeurait à Londres dans la première moitié du XVIe siècle, et qui paraît avoir été, souvent, fort bien renseigné sur les événemens et les bruits de la Cour.