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ce déguisement il s’introduira auprès de son infidèle et se livrera à un massacre général ; après quoi, il se détruira lui-même. En route, il se repaît, tout à loisir, du spectacle de cette scène sauvage. En sorte que, peu à peu, l’attrait s’en épuise pour lui, et qu’il est bientôt las de tout ce dramatique. Il songe alors aux moyens de réparer le tort que va lui causer son équipée et de rentrer à la villa Médicis, sans perdre ses droits à la pension que lui sert le gouvernement. Et il écrit à son directeur une lettre, par laquelle il réclame pour lui la pitié en invoquant le bénéfice d’une noyade imaginaire qui, en refroidissant sa fureur, aurait fait de lui pour l’avenir le plus calme des pensionnaires. « Dans Berlioz, écrit M. Boschot, il y a du Tartarin. Tâchons de résister à l’agacement que donnent les continuelles galéjades des Mémoires. Ces Mémoires, plus tard, seront écrits par bribes, chaque bribe dans un moment de crise. Or, à force de se raconter soi-même en amplifiant, à force de promener à travers le monde son propre génie, qu’on fait précéder d’une légende, Berlioz n’aura pas pu éviter, dans les crises où une fièvre le fait écrire, de prendre le ton d’un barnum hamlétique, le ton d’un commis voyageur byronien et méridional. » C’est à dissiper ces galéjades que consiste le travail du biographe.

Les romantiques ont toujours mis leur coquetterie à déclarer que chez eux l’instinct était maître et qu’ils ne devaient rien à la réflexion. C’est de même que Berlioz gémit sur la fatalité qui l’a fait devenir critique : il tient à déclarer qu’il n’a jamais fait de journalisme que par besoin d’argent ou pour défendre, plume en main, sa position de musicien. C’est le contraire qui est vrai. Tous ses parens avaient la manie d’écrire. Lui-même, durant toute sa vie, « écrira un nombre considérable de lettres : les mêmes formules qu’on retrouve d’une lettre ou d’un article à l’autre, prouvent qu’il n’écrivait pas toujours pour dire une chose nouvelle, mais plutôt parce qu’il avait besoin d’écrire : écrire était pour lui un geste spontané. » Il brûlait de critiquer, chroniquer, polémiquer : il en saisit la première occasion. — Les romantiques ont toujours prétendu ignorer la loi du travail lent et difficile. D’après la conception qu’ils se faisaient de « l’inspiration, » le poète ou le musicien devait écrire sous une espèce de dictée d’en haut. Mais quoi qu’ils aient fait pour donner le change à l’opinion, on s’aperçoit chaque jour davantage qu’ils n’ont pas échappé à la nécessité commune. Lamartine fut, à coup sûr, le plus merveilleusement doué entre tous les génies modernes. S’il fallait l’en croire, il aurait chanté comme l’homme respire, et dédaigné le travail des essais, des remaniemens et des corrections. C’est ce que l’examen de ses manuscrits