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sont au nombre de ces travaux préparatoires qu’elle utilise et qui lui fournissent de solides dessous. Faites-nous de bonnes biographies ; cela nous aidera à faire de meilleure critique.

Au dire de M. Boschot, Berlioz ne serait pas seulement un romantique, ce serait le romantique par excellence, le romantisme fait homme. Tout au moins est-il juste de reconnaître qu’il personnifie à merveille un certain aspect du romantisme ; et M. Boschot l’a fort bien mis en lumière. Un des traits de la définition du romantisme est en effet l’influence réciproque que les arts, grâce à lui, commencent à exercer les uns sur les autres, c’est leur pénétration mutuelle, c’est le mélange ou la confusion des arts. Rien de plus intéressant que de voir ici comment le musicien est influencé par le littérateur qui est en lui. C’est d’abord Chateaubriand qui lui enseigne la mélancolie, le vague des passions, l’aspiration aux orages désirés. Puis Thomas Moore, Walter Scott, Byron deviennent ses initiateurs. La venue des acteurs anglais à Paris, en 1827, n’a peut-être pas dans l’histoire du romantisme français toute l’importance qu’on lui a souvent attribuée, mais elle est dans la vie de Berlioz une date décisive, et elle influera profondément sur sa destinée. L’époque où il se prend de goût pour Shakspeare, celle où il lit telle œuvre de Gœthe, sont des momens dans le développement de son génie. Les Orientales de Victor Hugo paraissent en 1829 : Berlioz se passionne pour leur coloriage éclatant ; aussitôt il fait une Chanson de pirates avec accompagnement de tempête. Tout imprégné de littérature, il transportera donc dans la musique les mêmes procédés qui étaient alors ceux des écrivains, et sa musique sera une musique de confidences personnelles, une sorte de « concert imitatif » où il retrouvera les troubles de son âme. Et M. Boschot remarque justement que cette lyrique effusion de l’artiste est le propre du romantisme. « Jean-Jacques Rousseau, Byron, Gœthe, qu’ont-ils fait, sinon de donner de lyriques et libres épanchemens de leur propre cœur ? Et Shakspeare lui-même, pourquoi séduit-il tous les Jeune-France, sinon par les merveilleux couplets de poésie et de fantaisie, d’amour, de lyrisme, qu’il a jetés çà et là, comme une pourpre inconnue, sur le canevas de ses devanciers ? Et tout près de Berlioz, Chateaubriand, Lamartine, Vigny, Hugo même, que faisaient-ils sinon de se mettre eux-mêmes dans toutes leurs œuvres, et jusque dans le drame ? » Une symphonie devient « un épisode de la vie d’un artiste. » Comme elle s’essaie à des procédés tout littéraires, la musique s’enrichit aussi bien d’élémens pittoresques. De leur côté, « la poésie et même la prose deviennent comme une musique ; bien plus,