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part de l’événement. J’ai voulu paraître compter sur lui, mais sans lui redemander un asile, tâchant même d’éviter qu’il me l’offrît, car il me servirait bien mieux en m’en procurant un qu’en me le donnant. J’ai également regardé au-dessous de moi, dans l’état actuel des choses, de lui faire aucune demande pécuniaire. J’ajouterai seulement, mon cher frère, que ma volonté secrète est de ne reprendre ma route pour l’Italie qu’au cas de la pacification de l’Angleterre et de l’ouverture des ports du Midi à ses vaisseaux. »

Louis XVIII, on le voit, sans abdiquer tout espoir relativement au maintien par l’empereur de Russie de son titre royal, ne se payait pas d’illusions et encore qu’il considérât comme une offense grave le retrait de ce titre que Paul Ier lui avait, en d’autres temps, spontanément octroyé, il prévoyait qu’Alexandre, animé du désir de ne pas déplaire à Bonaparte, n’oserait le lui maintenir. L’événement devait donner raison à sa prévoyance. Dès la première lettre qu’il reçut du jeune souverain moscovite, au mois d’octobre suivant, il fut fixé. Elle était adressée à M. le comte de l’Isle ; elle débutait par ces mots : « Monsieur le comte, » et jusqu’à sa rentrée aux Tuileries en 1814, il ne fut plus pour l’empereur de Russie que Monsieur le comte.

Les événemens qui viennent d’être racontés alimentent dans une large mesure, durant les premiers mois de l’année 1801, la correspondance du Roi avec son frère. De quoi se fussent-ils entretenus si ce n’est de leurs malheurs et des incessans mécomptes qui les aggravaient ? Mais, dans la circonstance, ceux de l’aîné dépassaient si fort ceux du cadet qu’on s’explique aisément que celui-ci en ait été violemment ému et alarmé, et que, ne s’inspirant que de sa fraternelle tendresse, il ait fait litière des souvenirs amers qui survivaient dans son cœur aux anciennes querelles, pour ne plus se rappeler que ce qu’il devait à son frère, le chef de la maison, celui qui portait la couronne.


II

La correspondance du Roi avec son frère à cette époque n’a pas trait seulement à la mesure brutale et inexpliquée qui le laisse sans asile et le livre aux plus aventureux hasards. Elle parle aussi de sa détresse financière, qu’elle dépeindra parfois en des lignes d’un caractère poignant. Elle datait de loin, cette