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lui apprenait que, sans savoir pourquoi, il était brutalement chassé de Russie. Le Roi ne prévoyait pas qu’il pût être lui-même victime d’une mesure analogue, si contraire aux bons procédés dont il avait été jusque-là l’objet de la part du Tsar. C’est cependant ce qui l’attendait. A son insu, au fond du ciel sous lequel il se croyait en sûreté, un orage s’était formé, dont la disgrâce subite du comte de Caraman n’était que le prélude. Ce n’est pas ici le lieu, — notre étude ayant un tout, autre objet, — de raconter les incidens et les péripéties qui précédèrent le départ du Roi. Le 20, le général de Fersen, gouverneur militaire de Mitau, venait, les larmes aux yeux, lui signifier l’ordre impérial qui le mettait en demeure de quitter le territoire russe dans les vingt-quatre heures. A grand’peine, en invoquant le nom de sa nièce, en rappelant que le lendemain, anniversaire de la mort de Louis XVI, elle comptait, suivant sa coutume, rester en prières, il obtenait un répit de deux jours. Le 22, il se mettait en route avec elle. Il avait pris le nom de comte de l’Isle, la princesse celui de marquise de la Meilleraye. La duchesse de Sérent, Mlle de Choisy, le comte d’Avaray et le vicomte d’Hardouineau les accompagnaient.

Les lettres écrites par Louis XVIII, au cours de son voyage, nous permettent de le suivre à toutes les étapes de sa route. Elles nous révèlent son sang-froid, sa résignation, la constance de ses espoirs et la reconnaissance que, dès ce moment, il voue à sa nièce dont la sollicitude et l’intrépidité ne se démentent pas un instant. En quittant Mitau, il nourrissait le dessein de se rendre à Varsovie, qui appartenait alors au roi de Prusse. Caraman parti devant lui devait solliciter l’autorisation de ce souverain avec qui il était lié et s’y faire aider par le prince de Belmonte, ambassadeur de Naples à Berlin. La Duchesse d’Angoulême, de son côté, avait écrit à la reine Louise pour la prier d’appuyer auprès de son époux leurs démarches. Mais, dans la pensée de Louis XVIII, Varsovie ne serait qu’une halte. Il n’y voulait rester que le temps nécessaire pour négocier avec son cousin des Deux-Siciles son passage à Naples. S’il y réussissait, son expulsion de Russie aurait eu pour effet de le rapprocher de son royaume et peut-être, alors, serait-il tenté de la considérer comme un événement favorable à sa cause.

Le 27 janvier, après un voyage que la rigueur de la saison