Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/828

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prise par Edouard VII depuis son avènement, si différente de celle de sa mère, justifie cette préoccupation. Comme on l’exprimait devant une personne qui tient de près à M. Chamberlain, cette personne répondit : « Oh ! the King is an old free trader ! » Si le Roi avait entendu ce mot, il aurait pu répliquer qu’il connaissait un autre free trader encore plus ancien, lequel avait nom Joseph Chamberlain. Mais, en même temps que libre-échangiste, le Roi, — ce n’est un secret pour personne, — est anti-allemand. J’entends par là que, — sans parler de l’agacement causé par certaines fantaisies oratoires et par certaines allures théâtrales, — il voit dans l’Allemagne la véritable ennemie, la dangereuse rivale du commerce et de l’industrie britannique. Tout bon free trader qu’il est, il se serait très bien résigné à l’introduction de quelques petits bouts de tarifs à la Balfour pour modérer l’influx de la pacotille germanique sur les marchés anglais. J’ose prédire que, si les libéraux restent longtemps au pouvoir, ils en viendront à partager et à appliquer cette manière de voir. Mais, pour en arriver là, il faudrait arracher les ouvriers à la fascination de l’utopie socialiste, il faudrait leur faire comprendre que leur intérêt comme producteurs prime encore leur intérêt comme consommateurs.

Fatalement, les libéraux seront amenés à suivre de loin la politique impérialiste de leurs prédécesseurs. Au fond, le pays n’était pas trop mécontent de cette politique. Elle a compté, je le sais, plus de revers que de succès. La guerre contre le Mullah, au Somaliland, a échoué piteusement, malgré l’appui du Négus. Le blocus des ports du Venezuela, de concert avec la flotte allemande, n’a rien eu de brillant. Peut-être la marche sur Lhassa aura-t-elle été une aventure sans lendemain, un coup d’épée dans le vide ? Mais l’entente avec la France et l’alliance japonaise ont semblé des pas dans une bonne direction. Quant à la guerre du Transvaal, j’ai lu dans plusieurs journaux français que c’était le mauvais souvenir laissé par cette guerre qui avait, finalement, causé la chute du ministère tory. Je ne saurais m’associer à cette vue. Il est très vrai que la pauvreté des résultats obtenus a profondément mécontenté les classes inférieures : on leur avait promis un Eldorado, et voici qu’on leur ferme la colonie pour y introduire des ouvriers chinois ! La guerre a révélé beaucoup d’incapacité et quelques fraudes. D’autre part, elle a mis en lumière un fait vraiment prodigieux, un tour de force que tous les