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nommé, ne semblait plus représenter l’opinion du pays. À mesure que la guerre s’éloigne, on se rend mieux compte de la pauvreté des résultats auxquels a conduit ce gigantesque effort, cet immense sacrifice. Deux ministres de la Guerre se sont succédé ; l’un a échoué dans la réorganisation de l’armée ; l’autre, en voulant fortifier l’armée auxiliaire, a provoqué des colères violentes. La question des cabarets reste sans solution ; la résistance à la loi scolaire a pris, sur certains points, la forme d’une révolte ouverte. Mais c’est surtout depuis que M. Chamberlain a soulevé la question de la réforme fiscale que l’opposition, jusque-là incohérente, mal dirigée et divisée contre elle-même, est devenue formidable. Avec ses tarifs, M. Chamberlain a fait pour ses ennemis, les libéraux, ce que Gladstone avait fait, en 1886, pour ses ennemis, les conservateurs, en jetant le problème du Home-rule dans la discussion. M. Chamberlain a refait ainsi l’unité du parti libéral ; il en a réuni les tronçons en un seul corps. À quel mobile a-t-il obéi ? On a dit que c’était une manœuvre électorale, une façon de retremper sa popularité. Dans ce cas, il se serait bien trompé. Mais non, M. Chamberlain n’est pas homme à gouverner sa conduite politique par de telles raisons. La vérité est qu’il marche, avec la ténacité de l’apôtre et la raideur du maniaque, vers l’accomplissement de son rêve grandiose : l’organisation d’un monde Britannique qui se suffirait à lui-même et tiendrait le reste du monde en échec. C’est l’idée de Napoléon retournée, le Blocus anticontinental. La petite Europe, assiégée chez elle, enveloppée d’une ceinture de tarifs, finirait par se rendre à merci et deviendrait vassale de l’Empire Anglais. Avant tout, il fallait unifier cet Empire, rattacher fortement au centre les appendices lointains, créer un lien commercial, resserrer le lien sentimental. La guerre du Transvaal n’a été qu’un épisode dans cette campagne. À cette époque, il s’agissait d’empêcher l’Afrique du Sud de tomber définitivement sous la suprématie d’une autre race. Le danger, aujourd’hui, c’est l’annexion du Canada aux États-Unis. Tout plutôt que cela ! Si M. Chamberlain révélait toute sa pensée, il dirait à ses compatriotes : « Ce que je vous propose n’est pas à votre avantage matériel et immédiat. Vous, génération présente, immolez-vous à la génération de demain, faites la grandeur de vos enfans. » Mais ce langage ne serait pas entendu.

Quoi qu’il en soit, voilà trois ans que la question agite tous