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de thèses, ne ménageait ni les candidats, ni ses collègues, avait une sainte terreur du pouvoir. Il craignait par-dessus tout d’être dérangé dans la sérénité de ses travaux par quelques démêlés avec le ministère de l’Instruction publique. Ma nomination lui faisant croire que j’étais un ami personnel du ministre, — ce qui était parfaitement inexact, — il me témoignait assez d’égards pour que je n’eusse pas la tentation de me plaindre de lui.

D’une tout autre nature étaient mes relations avec d’anciens condisciples et de vieux amis de mon père, comme MM. Guigniaut et Patin. L’excellent M. Guigniaut, le patron et le sauveur de l’École française d’Athènes, retrouvait en ma personne un de ces Athéniens qui lui étaient particulièrement chers. Sa maison m’était ouverte avec une nuance de bienveillance paternelle. Ouverte aussi, celle de M. Patin. Chez ces deux contemporains, même distinction de manières avec un peu plus de solennité chez M. Guigniaut, avec plus d’aisance chez M. Patin. Tous deux avaient une très haute idée des devoirs que comporte l’enseignement supérieur et de la dignité qu’exige la fonction. La correction constante de leur tenue indiquait l’importance qu’ils attachaient au respect de toutes les formes. Seulement, chez M. Patin, cette gravité en quelque sorte professionnelle était égayée par l’esprit le plus vif et le plus charmant. Malgré l’érudition la plus solide et la plus étendue, aucun pédantisme, le don de présenter les choses avec grâce, sans appuyer, d’une voix pleine de nuances et de sous-entendus. Aucune médisance non plus, à peine un grain de malice spirituelle. M. Patin n’avait pas besoin de dire du mal du prochain pour donner du piquant ù la conversation. Son admirable mémoire lui fournissait en abondance des anecdotes savoureuses qu’il distillait lentement, avec un joli geste de ses mains grasses de prélat. En l’entendant, il me semblait entendre le ton des salons littéraires du XVIIIe siècle, de ce siècle où tout se faisait aisément sans appareil et sans efforts.

Le plus populaire des professeurs d’alors était Saint-Marc Girardin, que ses articles des Débats avaient fait connaître avant que son éloquence attirât la foule. C’était un grand homme robuste bien connu dans le quartier Latin par la hauteur de ses faux-cols et par la longueur de ses redingotes. Il avait naturellement beaucoup d’esprit, et il en mettait partout, dans ses livres, dans ses leçons, jusque dans les examens du baccalauréat. Il y avait