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Burnouf, sous l’influence de M. Guerrier de Dumast, parut absorbé par l’étude du sanscrit. Il s’autorisait du titre de sa chaire de littérature ancienne pour étudier quelque chose de plus ancien que le latin, de plus ancien que le grec. Il choisissait les Védas pour sujet de cours et, avec l’aide d’un collaborateur laborieux, M. Leupol, il publiait une grammaire sanscrite, un dictionnaire sanscrit, un choix de morceaux sanscrits. Pendant dix ans, MM. Burnouf et Leupol constituèrent ce qu’on appela l’École de Nancy, et, reprenant une idée exprimée en 1852 par M. Guerrier de Dumast, réclamèrent des chaires de sanscrit et d’arabe dans toutes les Facultés des lettres et la création d’une École française, comme celles de Rome et d’Athènes, au cœur de l’Inde, à Bénarès.

Des cinq premiers professeurs nommés à la Faculté des lettres de Nancy, j’étais le plus jeune et le moins bien préparé. Le décret qui nous nommait me chargeait du cours de littérature étrangère. Or je ne connaissais bien qu’une langue vivante, la langue italienne que j’avais pratiquée en Italie et qui m’avait fourni le sujet d’une thèse de doctorat. Je conservais quelques bribes d’allemand de mes classes du collège de Metz, et j’en avais tiré parti à Athènes pour travailler régulièrement avec un jeune précepteur qui élevait les enfans du ministre de Prusse. D’autre part, sous la direction de mon père, j’avais lu un grand nombre de textes anglais. Mais cette instruction rudimentaire avait besoin d’être fortifiée et complétée. Aussi pris-je la résolution de passer chaque année la plus grande partie de mes vacances en Angleterre et en Allemagne. Ce projet fut heureusement favorisé par la bonne grâce de la famille dans laquelle je venais d’entrer en épousant Mlle de Caumont. Non seulement mes beaux-parens ne me firent jamais aucune objection, mais je trouvais dans ma femme qui parlait anglais la meilleure et la plus vaillante compagne de voyage.

Nous voyageâmes d’abord pour nous instruire, pour connaître les lieux et pour nous familiariser avec la pratique des langues étrangères. Une première visite faite à Londres avant mon mariage m’avait permis d’y découvrir une maison de famille tout à fait à notre convenance, dans Grosvenor-Square, près d’Hyde-Park : de vieux garçons et de vieilles filles vivant ensemble, une sœur aînée d’esprit cultivé avec laquelle on pouvait causer et faire au besoin des lectures à haute voix. Toute notre vie s’y orientait vers la curiosité et le travail : voir les Anglais de près