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III

Les remarques précédentes nous serviront d’introduction en quelque sorte pour jeter un coup d’œil sommaire sur une savonnerie en activité. Celle que nous choisirons est une des plus anciennes et des plus importantes de Marseille, et en la visitant, en se renseignant sur place, on s’éclaire à la fois sur les procédés du passé et sur les progrès que la science chimique permet de réaliser actuellement.

Pour commencer, observons que les ouvriers des deux sexes ne figurent pas en très grand nombre dans les savonneries A production comparable, les huileries en occupent bien davantage et du reste, dans cette branche comme dans toutes les autres variétés d’industrie, on cherche, autant que possible, à réduire au strict minimum au profit des machines la main-d’œuvre à bras, moins à cause de son prix élevé que pour des motifs d’ordre plus moral qu’économique. De l’intérieur des chaudières dans lesquelles l’huile s’empâte avec l’alcali s’exhale un parfum plutôt agréable que nauséabond, et, en somme, l’industrie en question est assez salubre. Elle était peut-être plus hygiénique quoique moins inodore du temps, qui n’est pas tout à fait passé, où l’on usait de soude Leblanc, parce que ce produit renfermait toujours du sulfure de sodium comme les Eaux-Bonnes ou les sources de Cauterets. Pour les ouvriers, c’était garantie contre les épidémies, et le séjour dans l’atelier équivalait à un voyage aux thermes des Pyrénées. Il n’y avait pas non plus, en ce temps-là, de surmenage ; et, lorsque la fabrique se fermait ou seulement restreignait son activité pendant l’été, l’artisan savonnier, payé pour ne rien faire, allait tranquillement se livrer à la pêche, le sport favori du peuple marseillais.

Par exemple, les antiques opérations qui ne sont pas tombées partout en désuétude et se pratiquent encore ne brillaient pas par la simplicité et nos lecteurs perdraient patience à suivre la marche des « services » successifs destinés à amener dans les chaudières d’huile bouillante, tantôt de la soude douce (c’est-à-dire dépourvue de chlorure de sodium), qui saponifiait le corps gras, tantôt de la soude salée, qui forçait le savon incomplètement formé à surnager, tout en perfectionnant la cuisson, tantôt enfin de l’eau pure. Coction faite, on soutirait intérieurement,