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ou lagunes des cordons littoraux, soit de l’Espagne, soit du Languedoc, soit de l’Egypte. Ce dernier pays fournissait un produit minéral ou à peu près équivalent, le « natron. »

Au XVIIe siècle, la savonnerie de Marseille avait déjà une énorme importance et contribuait à enrichir la cité ; mais, là comme partout, la loi de la concurrence forçait les usiniers à produire beaucoup et vite au détriment de la qualité obtenue, et c’est pourquoi, le 5 octobre 1688, paraissait un édit du roi réglementant le fonctionnement des manufactures savonnières.

L’article Ier interdit, sous peine de confiscation de la marchandise, de préparer du savon pendant les trois mois de grosses chaleurs : juin, juillet, août. L’article II défend d’utiliser les huiles nouvelles avant le 1er mai. Cette huile employée, d’après l’article III, doit être pure, non mélangée de graisse, et sera combinée avec de la cendre de « barille[1] » pure, le tout cuit convenablement (article IV). Après la cuisson, le refroidissement dans les « mises » ou bassins doit se prolonger assez longtemps (article V). Aucune préparation ne pourra, au cours d’une de ses phases, se confondre avec la préparation suivante (article VI), sous peine de confiscation naturellement, puis d’une amende de 500 livres, et les feux ne devront pas s’éteindre au cours d’une même préparation (article VII). Enfin l’article VIII protège les acheteurs contre iles fabricans, en fixant la tare maxima à déduire du poids brut lors de l’achat du savon en caisse.

On voit par là qu’à cette époque la confection du savon de Marseille se ramenait à une sorte de cuisine instinctivement rationnelle et d’ailleurs très perfectionnée. Étant donné l’outillage imparfait du temps, étant donnée l’obligation pour le savonnier de ne lancer dans le commerce que des produits irréprochables, ces règles étaient au fond assez bien justifiées.

Pendant les lourdes chaleurs estivales du midi de la France, le savon se serait mal concrété après coction ; avec de l’huile souillée de graisse, il eût été mal réussi. D’autre part, à une époque et dans un pays où l’huile d’olive jouait un rôle alimentaire considérable, on ne voulait pas que le caprice d’un savonnier gaspillât avant les premiers indices de la récolte suivante

  1. La « barille » ou Salsola vermicula est la meilleure plante soudière connue, celle qui, après calcination, abandonne le plus de carbonate et le moins de sel marin.