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épanouie après sa mon et dont nous allons rappeler les étapes principales. On sait qu’elle fut commencée par le médiocre autant que généreux article de Balzac, qui, d’ailleurs, n’est pas sans présenter, romantique lui aussi, plus d’une ressemblance moral avec l’auteur de la Chartreuse de Parme. Ayant fondé une revue qui devait s’arrêter, faute de matière et de lecteurs, à son troisième numéro, et manquant comme toujours de loisir pour rédiger la nouvelle inédite qu’il avait promise à ses abonnés, le grand improvisateur y substitua, par une rare et noble inspiration confraternelle, un dithyrambe en l’honneur d’un romancier son concurrent. Concurrent peu redouté peut-être, mais Beyle eut néanmoins toute raison de lui écrire en retour qu’un « tel désintéressement ne s’était jamais vu et ne se reverrait pas davantage[1]. » L’étude de Balzac, aussi ampoulée de forme que vide de fond dans sa partie laudative, se relevait quelque peu par des réserves critiques à la fois pénétrantes et modérées. Quelle qu’en fût la valeur, l’immense notoriété de son auteur ne pouvait manquer de lui prêter un certain retentissement. Il avait d’ailleurs touché au point sensible la vanité du public lettré en proclamant que, seuls, les esprits d’élite, les quelques centaines d’âmes privilégiées qui sont la tête de l’Europe pensante, étaient capables de s’élever à la « transcendance » des analystes de Beyle, de comprendre les finesses et les profondeurs diplomatiques de ce familier de la vie des cours, d’admirer le prétendu portrait de Metternich qu’est le comte Mosca, et le Pierre le Grand, bien digne d’un plus vaste champ d’action, que Balzac discerne dans le prince Ranuce-Ernest IV. Stendhal a dû bien rire devant une pareille appréciation, car Dieu sait s’il avait voulu faire un homme de génie de son autocrate minuscule, qui prend plutôt entre ses mains des airs de fantoche d’opérette. Il se voit d’ailleurs couramment traité de « fée, » d’« enchanteur » par son généreux confrère, qui reste « étourdi et stupide » devant la perfection de son analyse, et va jusqu’à proclamer « beaux comme Corneille » les dialogues incohérens de l’aliéné Ferrante.

Les lecteurs que cette réclame retentissante attira à la Chartreuse de Parme purent désormais se considérer en toute sûreté

  1. Cette phrase réduit d’ailleurs à néant l’insinuation de Sainte-Beuve, expliquant par un prêt d’argent la complaisance du besogneux auteur de la Comédie humaine.