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ou de l’instituteur ? N’entendons-nous pas affirmer que la liberté de la pensée de M. Thalamas est chose infiniment plus respectable et sacrée que celle des enfans qui sont confiés à ses soins ? Or, M. Seippel ne nous dit nulle part quelle est sa conception de la liberté : c’est pour lui une idée, un mot plutôt, un mot prestigieux, sonore et vague, dont il se berce et dont il s’enchante, — et qu’il s’abstient de critiquer. En parlant de l’Encyclopédie, il déclare, — et la formule est extrêmement heureuse, — qu’elle a eu pour effet de « débrider l’anarchisme de l’instinct. » Est-il bien sûr que la liberté, telle qu’au fond il la conçoit et il la proche, ne se ramone pas à un véritable « anarchisme de l’intelligence ; » et en quoi cet « anarchisme »-là est-il plus respectable que l’autre, dont il est, à vrai dire, un des aspects ? Ce qui est en tout cas certain, c’est que, quels que soient, en théorie, les « droits » de l’homme, ces droits, en fait, — je veux dire dans la réalité de la vie, — ne sauraient être absolus ; sa liberté ne saurait être illimitée. Si l’homme en effet est un être essentiellement social, s’il ne vaut et s’il n’existe même que dans et par la société, la limite de ses droits, c’est l’ensemble des conditions nécessaires à l’existence même de cette société. Il n’y a pas de société possible sans une abdication consentie, de la part des individus qui la composent, d’une partie de leur liberté. Et les hommes, d’instinct, sentent si bien cela, que cette abdication le plus souvent ne leur coûte guère : ils aiment, ils bénissent leur « servitude volontaire ; » ils recherchent ce qui les rapproche et ce qui les unit ; ils se plaisent à prier en commun, à poursuivre des fins générales communes : ils fondent des nations, et ils fondent des Églises. Leur désir d’unité morale est une forme et une conséquence de leur instinct social.

Et c’est pourquoi la France contemporaine est peut-être le pays du monde où, à l’heure actuelle, la question de l’unité morale est posée et discutée avec le plus de violence. La « mentalité romaine » n’a rien à voir en cette affaire. Il était inévitable que le peuple où, de l’aveu des étrangers, l’instinct social est le plus développé, et la vie sociale le plus charmante, fût plus vivement épris qu’aucun autre de cette unité morale qui donne aux rapports sociaux un charme, une profondeur, une intimité incomparables. Et si, plus qu’aucun autre peuple, la France rêve de la réaliser dans l’avenir, c’est que, plus qu’aucun