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quartier. Mais vous n’avez pas mis le pied à Shimabara ; vous n’avez pas échangé des coupes de saké avec une de ces femmes merveilleuses ; vous ne pouvez pas savoir ce qu’était et ce qu’est encore le noble et vieux Japon !

Qu’était devenu mon Maéda, l’homme du progrès, le fonctionnaire passionné de civilisation occidentale ? Je m’écriai :

— Pardonnez-moi mon impolitesse, Maéda-san ; mais vous êtes coupable, vous êtes très coupable ! Vous avez attendu la veille de mon départ pour me révéler l’existence du plus curieux trésor de Kyôto ! C’est la première fois que vous me parlez du grand-duc ! Je vous en prie, conduisez-moi à Shimabara où j’estime que vous devez avoir du crédit. Vous direz que, si le hasard m’a fait naître Européen, je mériterais par mon goût naturel d’être né Japonais. Vous vous porterez garant de ma courtoisie et de mes bonnes manières. Vous serez éloquent… Mais ne laissons pas refroidir notre délicieuse eau-de-vie.

Fut-ce l’aiguillon de mes reproches, le stimulant du saké ou simplement l’amitié qu’il avait conçue pour moi ? Maéda se montra plus facile à convaincre que je ne l’aurais pensé. La coupe en main, il jura qu’il m’introduirait le soir même au cœur de la place forte, et que, après avoir dîné en face du Mont Arashi, nous souperions dans la salle des pins, des cerisiers ou des cigognes de Shimabara.

Nous regagnâmes le train, et, à la gare de Kyôto, nous prîmes un petit tramway. Comme il allait lentement ! Vous auriez dit qu’on avait attelé à ce véhicule européen le vieux cheval sacré d’une procession shintoïste. Mais à mesure que nous approchions, l’assurance de Maéda se dissipait avec les fumées du saké. Il mesurait les difficultés de l’entreprise et commençait à regretter son serment.

— Je crains, murmurai-je, qu’on ne me fasse le coup, des grands-ducs.

— Moi, je crains qu’on ne nous mette à la porte, répondit-il d’une voix caverneuse.

Près du temple de Hongwanji, nous descendîmes du tramway, et nous continuâmes notre route à pied et en silence. La nuit était tombée ; le ciel s’était couvert ; le vent soufflait avec une âpreté d’automne. Les clochettes des marchands de macaroni tintaient au loin : lorsque le vent s’arrêtait, le faubourg était si calme que nous les entendions comme si nous les