Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/588

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Je vous ai exposé dans ma lettre du 15 juillet les motifs de ma conduite au sujet de l’abbé André. Son retour à Uberlingen ne doit pas vous étonner. Je vous l’ai annoncé dans cette même lettre.

« J’ai accordé à Dutheil ce qu’il me demande constamment depuis cinq ans, ce que mes intérêts pécuniaires demandent plus fortement encore et ce que je lui avais promis de faire quand j’aurais un établissement plus fixe. S’il s’était agi du duc d’Harcourt, de celui qui reçoit directement mes ordres et est en rapports continuels avec vous, je n’aurais sûrement rien fait sans vous demander au moins votre avis. Mais, pour un subalterne, j’ai cru qu’il suffisait de vous en parler au moment même où je m’y suis déterminé. D’ailleurs, vous serez content de Vellecourt, j’en suis certain ; et quand je vous ai écrit, je ne savais pas, comme je vous l’ai mandé il y a peu de jours, s’il accepterait ou si c’en serait un autre.

« Ne me sachez pas mauvais gré de mon laconisme. Il me semble que je touche du fer rouge quand je suis obligé de vous dire des choses que je crains qui ne vous plaisent pas. Vous m’aimez, je vous aime ; dormons l’un et l’autre sur cet oreiller et embrassez-moi d’aussi bon cœur que je vous embrasse. »

Ainsi, le Roi ne voulait ni se brouiller avec son frère, qu’il aimait et dont les services lui étaient indispensables, ni abdiquer en rien. Cette fois le Comte d’Artois se le tint pour dit. Soit que les dernières lignes de la lettre qui précède eussent touché son cœur, soit qu’il eût compris que ses efforts pour élever son pouvoir à la hauteur de celui du Roi se briseraient contre une volonté immuable, il cessa de parler de ses griefs. Il n’y est plus fait allusion dans la suite de sa correspondance. Il est vrai que les échecs qu’à cette heure subissait de toutes parts la cause royale étaient bien faits pour démontrer aux deux frères la nécessité de leur étroite union et que l’imminence du mariage de Madame Royale avec le Duc d’Angoulême leur commandait d’oublier leurs torts réciproques.


III

Les événemens préliminaires de ce mariage dont nous avons fait précédemment ici même le récit constituent la préoccupation principale du Roi et de son frère pendant les derniers mois