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Un seul mot de tendresse de sa part eût pu aisément guérir ma plaie. Mais, s’il lui importe peu de la laisser saigner, si plus occupé de la prééminence de son rang, il oublie ce qu’il doit à son frère, à un ami qui a tout, fait pour lui, alors, mon cher maréchal, tout est dit, n’en parlons plus. Je vivrais mille ans que je ne ferais pas un pas de plus pour le ramener à des sentimens qui seraient effacés dans son cœur. »

Non content de présenter ainsi sa défense qu’allait bientôt compléter une seconde lettre, le Comte d’Artois annonçait à son frère qu’il avait répondu au maréchal et, parlant de cette réponse, il disait : « La franchise du sentiment qu’elle exprime ne blessera pas, je l’espère, un bon et tendre frère ; c’est aussi en bon frère que je me flatte de vous avoir servi. Je crois l’avoir démontré dans ma réponse au maréchal. La seule observation que je vous adresserai directement, c’est qu’il me semble que dans une affaire de ce genre, se dispenser de répondre à son frère parce que sa lettre déplaît pourrait être un droit de paternité, mais non de fraternité. »

Il existe dans les papiers de Louis XVIII, à propos de cette affaire, un écrit de sa main, une de ces notes en lesquelles, en toute occasion importante de sa vie d’émigré, il se plaisait à discuter avec lui-même les incidens qui s’y produisaient. Celle-ci, ne faisant que résumer le débat qui vient d’être exposé, et ayant pour but de démontrer que tout en le déplorant, il ne se reconnaissait aucun tort ni dans le fond ni dans la forme, il n’y a pas lieu de lui donner place dans notre narration. Nous ne l’aurions même pas mentionnée s’il ne convenait d’en retenir les dernières lignes où apparaît la préoccupation maîtresse qu’apportait le Roi dans ses relations avec son frère. Après avoir discuté, longuement et un à un, les griefs du Comte d’Artois, il terminait en disant : « Le Roi n’a donc pas eu non plus de tort dans la forme ; comment qualifier après cela la lettre du 28 novembre, lettre dure dans le fond, blessante dans les expressions, et qui renferme une véritable rupture ? Que pouvait faire le Roi après l’avoir reçue ? Dire « j’ai eu tort, » c’eût été se mentir à lui-même Se plaindre directement ? on lui eût répondu : « Votre blessure provient de celle que vous m’avez faite. » Réfuter cette opinion ? c’eût été jeter de l’huile sur un brasier. Le Roi a pris un mezzo termine, il s’est jeté dans les bras d’un ami commun ; il s’est montré non pas offensé, mais affligé, espérant que la vue