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en avoir fourni le moyen en lui donnant une lettre pour le roi d’Angleterre, qu’elle invitait à seconder l’exécution de ce projet. Cette lettre ne produisit pas l’effet que la vieille souveraine en avait espéré. Le roi d’Angleterre dut s’en remettre à ses ministres et ceux-ci refusèrent d’organiser l’expédition avec laquelle le Comte d’Artois se serait transporté en France. Restait au prince la ressource de s’y rendre seul et de se mettre à la tête des bandes vendéennes. Il ne s’y résigna pas ; il ne voulait se montrer dans l’Ouest qu’entouré d’une armée étrangère. Ce fut une première occasion perdue, et l’événement causa à Louis XVIII une cruelle déception.

Une seconde occasion se présenta après Quiberon. Le Roi était tellement convaincu que son frère ne la laisserait pas échapper qu’à la date du 18 septembre 1795, étant sans nouvelles de lui, il le croyait déjà passé sur le continent, et lui envoyait ses instructions.

« Je me sers, mon ami, de ma voie ordinaire avec Charette pour te dire le plaisir que j’ai à te savoir enfin arrivé dans notre pays et te parler du désir ardent que j’ai de t’y aller rejoindre. Travailles-y de tout ton pouvoir. Voici maintenant les choses dont je te charge : 1° de donner en mon nom le cordon rouge à Charette, 2° de confirmer en mon nom tous les officiers dans leurs grades, 3° Stofflet et Sapinaud sont des gens excellens qu’il faut contenter, mais qu’il faut toujours tenir dans la subordination à l’égard de Charette et je crois que le grade de maréchal de camp est ce qu’il leur faut. »

Dans la même lettre, constatant, d’après les dires de ses agens de Paris, que la déclaration adressée à son peuple, lors de son avènement, avait produit en France un bon effet, il se plaignait des Jacobins, qui n’avaient rien trouvé de mieux « pour rompre le coup » que de publier qu’il était mort ou mourant et que le Comte d’Artois pensait tout au rebours de lui. « Il est donc bien essentiel, lui mandait-il, que tu fasses connaître que tu penses absolument comme moi et que, si tu étais à ma place, tu marcherais exactement sur la même ligne. Je n’ai pas besoin de te recommander d’avoir grand soin de tenir sous bride les prétentions de toute la petite armée. Les prétentions sont le mal ordinaire de notre nation et il n’y en aurait pas de plus dangereux dans ce moment-ci. Adieu, mon ami, je t’aime et t’embrasse de toute la tendresse de mon cœur. »