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La gouvernante des deux frères ne leur avait pas seulement prêché la nécessité de se confier à Dieu dans les grandes épreuves de la vie. A eux, comme à leur aîné l’héritier de la couronne, comme à leur sœur Madame Clotilde, la future reine de Sardaigne, et à Madame Elisabeth, elle avait prêché aussi l’union familiale ; elle leur avait surtout appris à s’aimer les uns les autres. Au cours des premiers troubles révolutionnaires, on put croire, à ne juger le Comte de Provence et le Comte d’Artois que par leur attitude envers Louis XVI, qu’ils avaient oublié cette partie des enseignemens de « leur seconde mère. » En réalité, cet oubli ne fut que momentané.

La politique souille plus ou moins tout ce qu’elle touche ; elle les avait égarés jusqu’au point de faire croire momentanément à une rivalité qui n’existait pas. Mais, lorsqu’ils accusaient leur frère, resté en otage à Paris, de leur disputer les pouvoirs à l’aide desquels ils prétendaient le sauver alors que, par leurs maladresses et leurs violences, ils précipitaient sa perte, leur tête seule était coupable et non leur cœur. Nulle cause de désunion ne se fût produite entre eux et lui, s’ils n’eussent été loin de sa personne. Leurs douloureux débats, que révèlent les correspondances que nous avons publiées antérieurement, furent le résultat d’une séparation dont tous souffraient au même degré.

Du reste, un fait analogue s’était déjà passé entre Monsieur et le Comte d’Artois en 1790. De Turin, où celui-ci résidait alors, il usait contre le Comte de Provence, encore à Paris, des mêmes armes qu’un peu plus tard, quand ils furent réunis, on les vit employer contre Louis XVI. A propos de l’affaire du marquis de Favras et de la démarche de Monsieur auprès de la municipalité parisienne, à laquelle il se présenta « non comme prince, mais comme citoyen, » le Comte d’Artois ne craignit pas d’incriminer violemment sa conduite.

— Il s’est avili, disait-il ; il a roulé dans la boue !

Mais ces griefs ne tinrent pas devant la joie que ressentirent les deux princes, en se retrouvant à Bruxelles, au mois de juin 1791, et devant la douleur que leur causa l’arrestation de Louis XVI à Varennes.

A Coblentz, ils vécurent unis. S’il y eut entre eux des discussions, on n’y découvre pas le caractère agressif et malveillant qui, dans les querelles, rend parfois les contradicteurs