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Une marque tracée par l’électeur indique pour qui il entend voter. Mais comment se défendre des regards ? où trouver une table, un crayon, un abri où on ait la liberté d’user de son indépendance ? La cabine d’isolement a répondu à ce besoin. Établie dans toutes les salles de scrutin, avec plus de luxe dans les villes, plus sommairement dans les sections rurales, elle reçoit l’électeur pendant une ou deux minutes. Dans les bureaux plus importans, on en multiplie le nombre. Tout électeur doit s’y rendre, le bulletin de vote ne pouvant recevoir ailleurs la marque décisive. Nos voisins Anglais et Belges se montrent très satisfaits de ce système qui est entré dans les habitudes[1] : les électeurs y trouvent une garantie contre tous les genres de pression : on ne rencontre plus d’électeurs accompagnés jusqu’à la salle du scrutin, surveillés par un chef ou par un camarade. La cabine est le signe visible de l’affranchissement. Lorsqu’on voit le vote de nos grandes assemblées politiques profondément modifié par le scrutin secret, ne convient-il pas de faire un retour sur nous-mêmes ? Nous est-il permis de dédaigner pour les simples citoyens ces précautions, de les tenir pour secondaires ? Avons-nous le droit de déclarer inutile à notre pays ce que l’Angleterre et la Belgique, aussi bien que la démocratie américaine, avec la longue expérience de la liberté politique et de ses corruptions, tiennent pour une garantie protectrice ? Il est permis d’espérer que les élections de 1906 verront l’application de cette réforme votée à deux reprises par la Chambre des députés[2]. L’enveloppe uniforme et l’isolement consacreront l’indépendance de l’électeur. Si on y regarde de près, on s’apercevra que ces mesures peuvent seules prévenir toute fraude au moment de la remise du vote dans l’urne. On a vu tout récemment un maire pris en flagrant délit de substitution d’un bulletin à celui qui était remis par l’électeur. En certaines communes, les électeurs sont persuadés que le maire tantôt ajoute des bulletins[3], tantôt avec un peu d’huile ou de graisse tache

  1. Les Allemands ont adopté la cabine et l’enveloppe. (Règlement voté par le Reichstag, 28 avril 1903.) En Suisse, plusieurs cantons ont adopté le vote sous enveloppe officielle (Tessin, 1888 ; Neuchâtel, 1891 ; Lucerne et Genève, 1892 ; Vaud, 1893). Le compartiment d’isolement est installé à Neuchâtel.
  2. Séances du 27 octobre 1904 et du 24 novembre 1905.
  3. En vain dira-t-on qu’au moment du dépouillement, les bulletins en sus du nombre des émargemens sont retranchés à la fois aux divers candidats. Cette apparente impartialité n’empêche pas que le candidat pour lequel a été commise la fraude n’en profite.