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Tel est le fait précis, indéniable, d’où tout découle. Suivant les circonstances, la pression est plus ou moins forte. Plus faible dans les temps calmes, elle devient très vive quand se développe la lutte des partis. Par un oubli complet de son rôle, le gouvernement descend dans l’arène, prend part à la mêlée, use de toutes ses forces. Cela s’appelait sous l’Empire « sauver la société. » Les mêmes disent aujourd’hui qu’ils « sauvent la République. » Ce sacrifice au salut de tous, qui était à Rome, il y a vingt-cinq siècles, la loi suprême, revient dans la bouche de nos fonctionnaires comme un dernier argument qui dispense de tout scrupule.

Sous la constitution de 1852, le système fonctionnait avec une précision absolue : parmi les candidats, il en était un qui recevait l’investiture ; il était déclaré « candidat officiel. » Son nom, suivi de cette désignation, jouissait du monopole de l’affiche blanche ; le préfet l’escortait, le présentait partout ; les maires, qui étaient tous nommés par décret ou arrêté préfectoral, agissaient pour lui, transmettant aux gardes champêtres, facteurs et buralistes, les ordres qu’ils avaient reçus et donnant ainsi à tous les degrés l’exemple d’une discipline qui a soumis pendant dix-huit ans à un mot d’ordre le vote des campagnes. Toute velléité d’opposition était suspecte, tout acte d’indépendance était tenu pour un commencement de rébellion, et comme les hommes, qu’ils aient ou non une fonction publique, sont également sensibles à l’amour-propre et à l’ambition, lorsqu’un maire, voulant faire sa cour au préfet, voyait dans sa commune quelque ébranlement de mauvais augure, il imitait, souvent sans beaucoup de tact, ce qu’il avait vu faire au-dessus de lui. De proche en proche, les circulaires déjà violentes de M. de Persigny changeaient de ton ; parmi les sous-ordres se multipliaient les excès de zèle. En lisant la déclaration de guerre partie de la place Beauvau, les inférieurs se croyaient tout permis. Cette licence se prolongea pendant tout l’Empire, fertile en incidens de toutes sortes dans les régions où les ardeurs du soleil s’ajoutent aux ardeurs politiques, mais laissant partout le souvenir plus ou moins effacé de pratiques mauvaises.

Lorsqu’une coutume est dans le sens des défauts d’une race, elle y pénètre et la corrompt en un espace fort court. Si on observe bien la France, tout au moins ses masses rurales, on découvre qu’elle n’a été au XIXe siècle ni royaliste, ni impérialiste,