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l’être ? « Nous nous aperçûmes cependant, continue la dépêche, que notre supposition était erronée. » Elle ne l’était pas. Jamais, à aucun moment, la France n’a eu l’idée que son action au Maroc pourrait rendre caduc un seul des engagemens que le Maghzen avait pris avec d’autres puissances ; et, puisqu’on parle si souvent de la Tunisie à Berlin pour y trouver des analogies d’ailleurs toutes gratuites avec les projets qu’on nous attribue au Maroc, on devrait se rappeler que nous y avons attendu patiemment le terme naturel des traités contractés par la Régence, et que nous avons obtenu que les puissances intéressées renonçassent à ceux qui n’avaient pas d’échéance fixe, avant d’introduire une modification quelconque dans le régime économique du pays. L’argumentation de la chancellerie impériale est sur ce point d’une faiblesse extrême.

Aussi la dépêche du 12 avril revient-elle au plus vite à l’allégation que M. Saint-René Taillandier a invoqué auprès du Sultan un mandat que l’Europe aurait donné à la France. Nous ne nous étions pas trompés sur l’origine de cette légende. Assurément la chancellerie impériale ne l’a pas inventée : elle s’est bornée à la recueillir, par l’intermédiaire de ses agens, de la bouche même du Sultan. Qui ne l’aurait deviné ? Le tort de la chancellerie impériale est d’avoir ajouté une foi instantanée et vraiment aveugle à une affirmation que le sultan du Maroc et le Maghzen avaient un si grand intérêt à produire. Le Sultan lui-même s’en est expliqué un jour, paraît-il, avec M. Vassel, consul d’Allemagne à Fez. « À ma question, dit ce dernier : — Qui a tenu ce langage ? — le Sultan a répondu : — M. Saint-René Taillandier lui-même. — Il a ajouté : — J’ai demandé quelles étaient donc ces nations qui avaient donné mandat à la France, car je savais que ce n’était ni l’Allemagne, ni l’Italie. » Ce dialogue et cette mise en scène ne tromperont personne. Si l’Italie ne nous avait pas donné un mandat, elle nous avait donné un blanc-seing, et nous avions le droit de l’invoquer. Quant à un mandat, nous n’en avons jamais parlé. M. Saint-René Taillandier ne l’a pas fait et il était incapable de le faire. Mais s’il a dit que la France était d’accord avec la plupart des grandes puissances méditerranéennes, et que, sans parler en leur nom, il le faisait du moins avec leur consentement, il énonçait un fait incontestable, d’où le Maghzen a eu tort de faire sortir une équivoque que la chancellerie impériale a acceptée, à son tour, trop complaisamment. La pièce la plus importante du Livre Blanc est une longue dépèche, en date du 30 mai 1905, dans laquelle M. le comte de Tattenbach expose à son gouvernement tout le plan de réformes que M. Saint-