Page:Revue des Deux Mondes - 1906 - tome 31.djvu/479

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous n’avions aucun motif de défiance et encore moins d’hostilité contre M. Silvestrelli ; il est le parent de M. Tittoni avec lequel nos rapports ont toujours été très corrects ; mais ses propres compatriotes voyaient avec défaveur sa nomination comme premier plénipotentiaire à la Conférence, et on peut dire qu’il s’est élevé à ce sujet une véritable clameur en Italie. Pourquoi ? Il ne nous appartient peut-être pas de le rechercher. On dit qu’avant d’employer un homme, Mazarin, qui était Italien, demandait : Est-il heureux ? M. Silvestrelli n’a pas été heureux dans quelques-unes des missions qui lui ont été confiées. Est-ce ou non de sa faute ? Peu importe, il n’est pas heureux. Il était à Berne lorsque a eu lieu la rupture politique entre l’Italie et la Suisse. Il était à Athènes lorsque a eu lieu la rupture économique entre l’Italie et la Grèce. Il est aujourd’hui à Madrid, et il y a négocié le modus vivendi dont le rejet par le parlement italien a entraîné la chute du ministère et le départ de M. Tittoni. Tels sont les griefs contre lui. On a pensé qu’un homme auquel il était arrivé tant d’accidens y était peut-être pour quelque chose, et l’Italie tient beaucoup à ce qu’il n’arrive par sa faute aucun accident à Algésiras.

La grandeur même de ses intérêts dans la Méditerranée doit l’amener à jouer, pense-t-elle, un rôle important à la Conférence, et cette prétention est assurément de sa part très fondée. Il semble que M. le marquis di San GiuUano ait senti vivement tout cela en prenant possession des Affaires étrangères : il a cherché l’homme qui représenterait avec le plus d’autorité l’Italie à la Conférence, et qui pourrait être substitué à M. Silvestrelli sans porter atteinte à sa dignité. Il n’est personne en Italie qui ne puisse céder le pas à M. Visconti-Venosta en matière diplomatique. Son âge, son expérience, les longs services qu’il a rendus, la participation qu’il a prise à l’histoire de son pays, dans une période périlleuse et glorieuse, font de lui un personnage hors de pair. Il est le dernier survivant d’une grande génération. Pour tous ces motifs, M. di San Giuliano ne pouvait pas faire un meilleur choix. Nous avons dit qu’il avait été approuvé en Allemagne : c’est que M. Visconti-Venosta y est connu comme un partisan convaincu de la Triple-Alliance. Il n’a rien fait, lors de son dernier ministère, pour diminuer la valeur de cette combinaison poUtique, ni pour en dégager son pays. Mais il a fait quelque chose, — et c’est pour cela que sa désignation a été approuvée en France, — pour atténuer les maux causés par la politique crispinienne et pour rétablir des rapports amicaux entre Rome et Paris. Nous lui en avons su gré alors, et nous lui en sommes encore reconnaissans aujourd’hui. C’est lui qui, pour faciliter un rap-