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ORIENT


Orient ! tu dormais au fond de mes pensées,
Équivoque, secret, odorant et subtil,
Dans le kiosque où touche aux lampes balancées
La main sèche d’un Aladin au noir profil !

Tes mille et une nuits de parfums et d’étoiles
T’avaient fait ce sommeil de sultane au jardin,
Et je te regardais sans écarter les voiles
Où ton visage obscur attendait le matin.

Assis en l’ombre bleue attentive aux fontaines
Où la tulipe est droite au bord des bassins frais,
J’écoutais longuement, perle des nuits sereines,
La voix du rossignol aux pointes des cyprès.

Mais, comme ta beauté voluptueuse et grave
Qui a le goût des fruits et le parfum des fleurs,
Comme tes pieds posés aux faïences que lave
Le jet d’eau qui s’irise aux feux des sept couleurs.

Je savais tes ardeurs et tes amours jalouses
Et le rusé lacet et le sabre coupant
Qui changent aux cous nus des perfides épouses
Les grains de leurs rubis en gouttes de leur sang.

Car si, dans le parfum des jasmins et des roses,
Et sur la douce soie et les tapis tissés,
Ta langueur, Orient, s’étire et se repose,
Un redoutable éclair luit en tes yeux baissés.

Que la colère coure en tes veines brûlantes
Et te voici debout soudain, et tes talons,
Habitués longtemps aux marches indolentes,
Pressent le flanc fougueux des ardens étalons !